MICHEL-ANGE (A. Konchalovski)
« Une divine canaille »
Le film bouscule bien des règles du biopic pour suggérer que le génie de Michel-Ange est au moins autant cosa mentale que talent manuel. Konchalovski orchestre un langage somptueux aux images sublimes et au montage virtuose, juxtaposant en vastes mouvements d’essence réaliste les éléments d’une chronique pointilliste à l’intelligente pertinence. L’artiste y apparaît d’une audace titanesque : un exalté acharné, passionné, mais aussi parfois une canaille cupide, un être déchiré par ses visions maléfiques que déclenchent une meute de chiens noirs, un sombre soupirail, un incendie ou un vol de corbeaux. Le spectre de Dante, que Michel-Ange révérait, le traque même dans l’Enfer évoqué par l’existence souffrante du sculpteur.
Le comédien Alberto Testone campe à cinquante-cinq ans un « gredin de génie » qui devait en avoir vingt de moins à l’époque : physique trivial, à la brutalité vulgaire, sans vie privée, néanmoins fragilisé par ses démons intérieurs. Au cœur des soies et des dorures des palais, on le voit s’opposer à Raphael, son concurrent raffiné.
Dans l’épisode central des carrières de Carrare, le cinéaste conjugue tous les motifs de l’œuvre, la sienne et celle de Michel-Ange. Il s’agit de détacher un fantastique bloc de marbre à l’éclat « blanc comme du sucre », surnommé « le monstre » par les cinquante ouvriers carrarais puis de le faire descendre sur des rondins de bois et le transporter jusqu’à Rome, tiré par des dizaines de bœufs, dans un décor apocalyptique de pentes éventrées sous de sombres nuages jouant avec la lumière – comme un défi démentiel lancé à la puissance de la nature. La construction moderne du film, légère et éclatée, archipel de fragments raccordés par d’étonnantes coupes franches – noir ou image fixe, silence d’une demi- seconde – évite le ton hagiographique, épousant autant la dimension désaccordée qui marque l’existence de l’artiste que celle de ses entreprises, fulgurantes, qui brassent projets délirants et inspiration de l’instant. Ainsi en pleins travaux herculéens déployés pour déplacer « le monstre », le cinéaste nous montre Michel-Ange qui, frappé par le doux visage d’une jeune fille endormie, se précipite sur son cahier d’esquisses pour le fixer. À quatre-vingt-deux ans, Andreï Konchalovski a lui aussi conservé, dans cette entreprise colossale qui vient couronner sa carrière, la fraîcheur de regard de l’artiste toujours prêt à saisir la beauté humaine.
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Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
Classification
Média