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MICHEL-ANGE (1475-1564)

Le sculpteur : projets et réalisations

L'un des aspects les plus intéressants de l'art de Michel-Ange sculpteur est sa façon de procéder, extrêmement révélatrice, bien qu'elle ne laisse pas de poser des problèmes d'interprétation. Pour Michel-Ange, la sculpture digne de ce nom est celle qu'on obtient per via di levare (par la taille) où le sculpteur se heurte à la résistance de la pierre et doit faire appel à son « jugement », puisqu'il ne peut corriger ses erreurs. L'art de la sculpture commence pour lui, dès la carrière, par le choix du marbre ; ceux qu'il a employés pour ses figures, bien loin de reprendre la blancheur abstraite de certaines œuvres antiques qu'il avait pu voir, ont une teinte ivoire ou ambrée qui évoque la chair. Après s'être « approprié » le bloc en l'épannelant à la masse, il trace au charbon sur les faces les profils les plus apparents. La figure est alors dégagée, en partant de la vue frontale et en progressant en profondeur comme pour un relief, le long de lignes pointillées au foret, avec le ciseau pointu (subbia) percuté par le marteau, puis modelée grâce au ciseau denté, la gradine. Des ciseaux plats, des limes, puis des tampons de paille permettent de la polir. Mais l'originalité de Michel-Ange réside surtout dans la manière spontanée et intuitive dont il avance son travail. Dans les Esclaves inachevés conservés à l'Académie de Florence, les torses sont déjà très élaborés, comme si l'artiste avait voulu leur permettre de respirer, tandis que les membres ou la tête sont encore prisonniers ou à peine dégrossis. Michel-Ange exécute en premier lieu les parties du corps qu'il visualise le plus précisément et semble attendre que, par un effet interactif, elles lui suggèrent une solution pour les parties laissées en sommeil dans le bloc. Le travail de taille est préparé chez lui par des esquisses dessinées, des études précises de parties du corps, où le réseau des hachures simule les changements de plan, des ébauches sommaires en terre modelée (le petit bozzetto d'un groupe d'Hercule et Cacus, commandé par la Seigneurie de Florence en 1528 pour faire pendant au David, conservé à Florence à la casa Buonarroti) et, dans les cas où il a dû accepter de se faire aider par des assistants, des modèles en cire de grandeur définitive comme celui pour une figure de Fleuve prévue pour les tombes des Médicis (casa Buonarroti).

Un nombre élevé de sculptures de Michel-Ange sont inachevées, du moins d'un point de vue technique traditionnel. Pour certains critiques, ce non finito tient à des circonstances matérielles indépendantes de la volonté de l'artiste : des défauts du marbre (dans la Pietà de Florence), le décès ou le changement d'avis d'un commanditaire (c'est le cas des statues ébauchées pour les versions successives du tombeau de Jules II), le départ définitif pour Rome en ce qui concerne les statues de la chapelle Médicis. Pour d'autres, cet état d'inachèvement incombe à l'artiste, mais les raisons invoquées varient. Soit Michel-Ange aurait désespéré de jamais réaliser la perfection dont il rêvait, et une phrase que lui prête Francisco da Hollanda va dans ce sens : « On juge de la science d'un grand homme à travers sa crainte de ne pas exécuter une chose exactement comme il la conçoit. » Soit, au contraire, il aurait jugé l'effet recherché atteint dès ce stade d'inachèvement et n'aurait pas voulu amoindrir l'idée par une élaboration plus poussée. En réalité, les formes et les degrés de non finito sont différents dans chaque cas. Dans les œuvres de la jeunesse florentine, c'est surtout le fond du relief qui conserve la trace de la subbia ou de la gradine et par ses striures diffracte la lumière, créant une atmosphère plus douce autour[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence

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Médias

<it>La Mise au tombeau</it>, Michel-Ange - crédits :  Bridgeman Images

La Mise au tombeau, Michel-Ange

Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence - crédits :  Bridgeman Images

Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence

David, Michel-Ange - crédits : Rabatti - Domingie/ AKG-images

David, Michel-Ange

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