CIMENT MICHEL (1938-2023)

Le critique et historien du cinéma français Michel Ciment est né le 26 mai 1938 à Paris dans une famille d’émigrés juifs ayant fui la Hongrie de l’amiral Horthy. Son père, plisseur, travaillait avec sa femme pour les grandes maisons de mode parisiennes et échappa de justesse à la rafle du Vel’ d’Hiv’ et à la déportation. Le choc que fut pour l’enfant la vision des forces alliées libérant Paris en 1944 décida sans doute de son avenir. En effet, dans la foulée, les films américains – et non des moindres – dont la France avait été privée des années durant déferlèrent comme un vent de liberté. Michel Ciment s’orienta vers l’étude de la langue et de la civilisation américaines et devint un cinéphile avide.

Maître de conférences en civilisation américaine à l’université Paris-VII, curieux de toute expression culturelle, qu’elle soit musicale, picturale ou littéraire, Michel Ciment affirme sa personnalité et sa différence dès les quelques lettres de lecteur qu’il envoie aux Cahiers du cinéma, puis dans les premiers textes qu’il donne à la revue Positif. À une époque où l’activité de critique de cinéma ouvre souvent à celle de réalisateur de films, Michel Ciment impose peu à peu son idée de la fonction, loin des pis-aller et des frustrations : il est critique de cinéma, heureux et fier de l’être, partageant sa vaste culture, loin de tout sectarisme.

Il entre à Positif,en 1963, avec un texte sur Le Procès d’Orson Welles. Quelques années plus tard, il rejoint le comité de rédaction de la revue, dont il sera ensuite le directeur de publication. L’influence de Positif ne cessera de grandir et deviendra décisive grâce aussi au rayonnement que lui offrent des signatures telles que Roger Tailleur, Robert Benayoun, Bertrand Tavernier, puis Frédéric Vitoux, Emmanuel Carrère, Jean-Philippe Domecq…

Au-delà de divergences portant sur certains films et cinéastes, que Michel Ciment se plut à entretenir, avec un penchant pour la polémique stimulante, Positif ouvrit de nouveaux horizons vers le cinéma de genre, la création américaine, italienne ou encore celle d’Europe de l’Est. La « politique des auteurs » défendue par les Cahiers du cinéma y avait moins d’importance que la politique des films. Au fil du temps, Positif s’affirma comme une revue incontournable, respectée des cinéastes, jouissant d’un prestige grandissant tant en France qu’à l’étranger. Les interviews sans pareilles – en longueur et en profondeur – de Michel Ciment sont souvent devenues des livres qui font autorité, sur Stanley Kubrick, Francesco Rosi, John Boorman, Joseph Losey, Elia Kazan, Theo Angelopoulos ou Jane Campion. Il prolongea ses conversations avec des cinéastes dans des films documentaires sur Billy Wilder, Joseph Mankiewicz, Elia Kazan ou Francesco Rosi. Parallèlement, il publia jusqu’à la fin de sa vie des essais critiques sur le film criminel, Erich von Stroheim ou Fritz Lang, entre autres.

Avec Michel Ciment, les cinéastes qu’il interviewait parlaient d’égal à égal. Ils étaient frappés par la connaissance intime qu’il avait de leurs œuvres. Une rigueur professionnelle qui se retrouvera dans son activité radiophonique considérable. Présent au « Masque et la plume » (France Inter) dès 1970 et jusqu’en 2023, il créa des émissions, dont « Projection privée » (France Culture), qu’il produisit de 1990 à 2016. Lorsqu’il recevait ses confrères critiques à l’occasion de la publication d’un de leurs livres, ses questions, d’une grande pertinence, témoignaient de la lecture attentive qu’il avait consacrée à celui-ci.

Michel Ciment a ouvert la porte de la critique à bien des jeunes plumes. Il aidait sans jamais intervenir dans l’écriture. Nombreux sont ceux qui ont vu en lui le dernier représentant d’une certaine forme de critique de cinéma ; il serait plus juste de le considérer comme[...]