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CERTEAU MICHEL DE (1925-1986)

Vers une poétique du corps

Sans doute y a-t-il, dans l'œuvre de Michel de Certeau, un mouvement inverse et réciproque de celui qu'il décèle dans son objet même, le discours mystique, s'il est vrai que ce discours procède d'une position où « le nom est susceptible de construire un corps », entendez le nom de Dieu seul, au prix d'une « satisfaction à souffrir », voire d'une « pensée de la damnation » quasi mélancolique comme chez Surin, qui opèrent une coupure « séparant du signifiant de l'autre l'être-là du corps » (« Mélancolique et/ou mystique : J.-J. Surin », in Analytiques, no 2, oct. 1978). La césure historienne productrice d'un nouveau pensable ne serait-elle pas dès lors l'envers ou l'antidote de cette coupure mélancolique, mortifère, entre le signifiant de l'autre et le corps du sujet ? L'enjeu le plus secret de l'œuvre n'est-il pas de démontrer et démonter « la trahison chrétienne depuis les origines », à savoir le fait que « à la différence du judaïsme le christianisme a instauré un discours (le logos évangélique) qui console de la perte du corps » et où « le Nom se substitue au corps » ? À l'inverse du Nom unique, l'espoir est alors dans le pluriel et, au-delà d'une stase muette qui s'enfonce dans le murmure sans nom, dans la production d'une écriture où le corps rencontre à nouveau l'amour. « Du Nom, issu du rien qu'est devenu le corps, on passe à l'écriture elle-même destinée à redéfinir et constituer l'histoire. » Concluons : « De ce point de vue, l'écriture est simultanément ouverture de passages et construction de corps » (op. cit.). Par suite, au discours mystique se substitue la fable mystique, intégrant à l'énonciation elle-même (« la scène de l'énonciation ») ce rire où Michel de Certeau voyait s'unir Surin et Foucault : « à la fois le mouvement de la perte et celui de l'amour ». « Ouverture à une poétique du corps » : telles s'intitulent les dernières pages de La Fable mystique (t. I). Dans l'espace ouvert de l'écriture, la retrouvaille de l'amour décèle dans le bruit même une musique. « Les sons forment une mémoire insolite, antérieure à la signification et dont on ne saurait dire de quoi elle est le souvenir : elle rappelle quelque chose qui n'est pas un passé ; elle réveille du corps ce qu'il ignore de lui-même. » Dans le poème et dans la danse (« le rythme donne sa forme voyageuse à l'expérience »), dans la musique innombrable de la forêt indienne, l'absent de l'histoire se change en quelque chose qui n'est plus un passé, mais le secret même du corps. L'œuvre elle-même devient passante, « corps de voyage » ; elle se dédie à l'inconnu, c'est-à-dire, de nouveau, à la dispersion de l'autre. Mais maintenant elle suscite à son tour l'énonciation multiple : « L'œuvre est la métaphore d'un acte de communication destiné à retomber en mille éclats et à permettre ainsi d'autres expressions du même type » (La Culture au pluriel). L'œuvre, s'égalant au murmure vers lequel elle tend son écoute, devient elle-même la source d'un « pullulement créateur » – « aussi pluriel que la voix dont les inflexions et les accents disent à une attention amoureuse, plus de choses que les phrases formées » (La Fable mystique).

— Dominique JULIA

— Claude RABANT

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S.
  • : philosophe, psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure

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Urbain Grandier est conduit au supplice, Joseph Nicolas Jouy

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