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LEIRIS MICHEL (1901-1990)

Des genres à l'autobiographie

À considérer l'œuvre, une chose frappe d'entrée : la pluralité des genres. Qu'il s'agisse de la poésie (Simulacre, 1925, Haut Mal, 1943), du roman (Aurora), des essais artistiques ou ethnographiques (Miroir de la tauromachie, 1938), on note une diversité extrême de l'écriture. Comme si les genres littéraires contraignaient l'auteur à ne se présenter que scindé, et débouchaient naturellement sur l'autobiographie, qui oblige celui qui s'y soumet à réinventer ce genre même au fur et à mesure que se crée l'autoportrait. Ainsi, c'est bien à partir du moment où, à la suite de Montaigne et de Rousseau, Michel Leiris a tenté d'explorer les virtualités de son moi que l'autobiographie est devenue pour lui un espace d'écriture autonome, avec ses contraintes et ses méthodes : notamment le lent travail de maturation et de filtrage, qui fait transiter le texte de la fiche (celle-ci parfois précédée d'une rédaction préliminaire dans son Journal) au manuscrit et à la version dactylographiée.

Première tentative autobiographique avouée, L'Âge d'homme fut publié en 1939 (l'essentiel de sa rédaction remonte cependant aux années 1934-1935). Leiris compare ce livre à un photomontage, soit à une œuvre en apparence composée à partir des éléments les plus hétéroclites, mais dont la simple juxtaposition finit par mettre au jour des indices essentiels. Privilégiant les souvenirs d'enfance ainsi que la description d'un érotisme où l'être désiré tend à se transformer en objet sacré, mixte de répulsion et de fascination, il s'attache à construire un livre qui serait la plus fidèle réplique possible de lui-même, ou du moins d'un fragment privilégié de sa durée intime. Simultanément, le souci d'exactitude se double d'un aveu d'ignorance – contradiction qui fait l'unité de l'ouvrage : Michel Leiris n'écrit qu'autant qu'il ne se connaît pas et cherche à atteindre une image de soi tellement dissimulée qu'il se voit contraint, par le recours au langage, à la recréer. Cette incertitude majeure explique le rôle ambigu que joue ici la mémoire : mémoire qui, à chaque instant, doit servir de fil conducteur et dont pourtant il faut se détacher, dans la mesure où le souvenir dans toute sa véracité n'apparaît qu'au terme de l'entreprise de restitution permise par l'écriture.

La  structure  parcellaire  de  L'Âge d'homme, en même temps qu'ordonnée selon une certaine rigueur chronologique, est un peu celle qui permet de voir se relier l'une à l'autre les pièces exposées dans un musée, en un mouvement d'intensification qui s'accroît à chaque étape. Un tel enrichissement du sens tient au choix fait par l'auteur de traiter les faits racontés non sous le simple jour du récit d'enfance, mais bien comme une véritable mythologie, avec ses événements rares ou funestes. D'où le rapport étroit qui se noue entre l'anecdote et des formes artistiques comme l'opéra ou la peinture. Ainsi la double figure de Judith et de Lucrèce peintes par Cranach est-elle l'axe principal à partir duquel s'ordonne et se déploie l'univers érotique de l'auteur. En effet, dans son désir de parvenir aux couches les plus profondes du moi, Michel Leiris n'a pu qu'aborder « le continent noir de la sexualité », avec ses fantasmes et ses peurs, approche qui contribue à faire de L'Âge d'homme une œuvre décisive.

Dans le texte essentiel que constitue De la littérature considérée comme une tauromachie, et qui allait servir de préface à L'Âge d'homme, Michel Leiris, proche en cela de Georges Bataille, parle de la vanité d'une œuvre écrite sans conséquence véritable pour soi[...]

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Média

Michel Leiris - crédits : M. Kalter/ AKG-images

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