PICCOLI MICHEL (1925-2020)
Un art du dédoublement
Contrairement à certains acteurs, en particulier américains, Michel Piccoli ne s'investit pas totalement dans un personnage et ne vit pas son rôle vingt-quatre heures sur vingt-quatre : « Quand je joue la comédie, c'est réellement en état de dédoublement complet. Je vois la marionnette à côté de moi, je la fais naviguer et quand j'ai fini de tourner au cinéma ou de jouer au théâtre, je ferme le tiroir et c'est terminé. Je ne suis plus acteur et mes personnages ne m'encombrent plus. » C'est sans doute ce qui lui permet de travailler durant la même année 1969 avec Hitchcock (Topaz[L'Étau]), Vittorio De Seta (L’invitata[L'Invitée]), Claude Sautet (Les Choses de la vie) et Yves Allégret (L'Invasion)... De même, il peut demeurer inentamé auprès de réalisateurs « décevants » : « Je le vis comme si je tournais avec Jean-Luc [Godard], ou Ferreri, Sautet ou Doillon. [...] Il faut toujours apprendre son métier : on ne sait jamais quand on tombe dans la constellation juste, alors il faut voyager. »
Si Michel Piccoli entretient des relations suivies avec quelques réalisateurs privilégiés – Michel Deville, Manoel de Oliveira, Jacques Rouffio, notamment –, il appartient pleinement à l'univers de trois d'entre eux. Luis Buñuel est sans doute le cinéaste avec lequel il se sent le plus en complicité : La Mort en ce jardin (1956) ; Le Journal d'une femme de chambre (1963) ; Belle de jour (1966) ; La Voie lactée (1969) ; Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) ; Le Fantôme de la liberté (1974)... Ces deux derniers titres laissent entendre ce que sont les deux postulations de l'acteur : ironie et fantasmagorie. « Avec Buñuel, j'ai tout de suite compris que cet homme de grand délire et de grande rigueur allait être mon modèle à la fois physiquement et du point de vue du tempérament. » Le second cinéaste qui marque la carrière de Michel Piccoli est Marco Ferreri, un homme qui pendant plus de quinze ans a « fait des films agressifs, méchants, réellement utiles, qui a été catalogué comme un des grands maudits du cinéma... » En 1969, dans Dillinger è morto (Dillinger est mort), Michel Piccoli tient le rôle omniprésent d'un personnage enfermé dans son univers mental – « renaissance enfantine d'un homme mûr, entre désespoir, suicide, simple insomnie, rêve ». Par la suite, il sera, entre 1970 et 1987, l'interprète de L'Audience, de Liza, du « scandaleux » La Grande Bouffe, de La Dernière Femme, ou encore de Y'a bon les blancs... Avec Claude Sautet, de 1969 à 1976 (Les Choses de la vie ; Max et les ferrailleurs ; César et Rosalie ; Vincent, François, Paul et les autres ; Mado), la complicité est d'un autre ordre, plus simple en apparence : l'acteur est le double discret d'un réalisateur plus discret encore. « Je me suis aperçu assez vite que je le jouais, lui. » Double du réalisateur, il l’est également – doublement… – dans le film qui demeure le centre de sa carrière d’acteur, Le Mépris de Jean-Luc Godard. Paul Javal-Piccoli est en effet le double de Godard lui-même, présent dans la fiction en tant qu’assistant-réalisateur, comme il est également celui de Fritz Lang, faux cinéaste sur le plateau, mais vrai représentant du cinéaste-auteur, faisant profiter Piccoli de ses remarques lucides, parfois acerbes, souvent désabusées.
À partir des années 1980, la partition entre films « populaires ou commerciaux » et films « innovants » ne fonctionne plus vraiment. Si Piccoli participe bien, en connaissance de cause, à des films sans ambition artistique particulière, comme Beaumarchais, l’insolent, d’Édouard Molinaro, en 1995, avec Fabrice Luchini en vedette, il est de nombreuses aventures autrement roboratives pour lui-même comme pour le cinéphile exigeant. C’est le[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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