TALAGRAND MICHEL (1952- )
Michel Talagrand est un mathématicien français dont les travaux « ont transformé la théorie des probabilités, l’analyse fonctionnelle et les statistiques » selon l’Académie norvégienne des sciences et des lettres, qui lui a décerné en 2024 le prix Abel – considéré comme l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques.
Un exemple réussi de « l’ascenseur social »
Lorsqu’il écrit sa biographie pour la réception de la médaille Shaw (« le prix Nobel asiatique ») en 2019 à Hong Kong, Talagrand souligne « l’incroyable improbabilité de la chaîne d’événements qui construisirent sa destinée ». Exemple réussi de ce que peut permettre « l’ascenseur social », il est en effet petit-fils de paysans pauvres et quasiment illettrés du sud-est de la France. Son père, né en 1925, se révèle un très bon élève, et l’instituteur parvient à persuader ses parents de le laisser poursuivre des études jusqu’à devenir professeur de mathématiques. Sa mère obtient les diplômes lui permettant d’enseigner le français dans un collège. Né le 15 février 1952 à Béziers, Talagrand passe sa jeunesse à Lyon où la famille s’est installée en 1955. Son père doit user de son influence pour que soit admis au lycée un élève médiocre et peu intéressé par les études.
Le jeune Talagrand souffre depuis sa naissance d’une grave faiblesse oculaire ; à l’âge de cinq ans, un décollement de la rétine lui fait perdre l’usage de l’œil droit. À quatorze ans, c’est l’œil gauche qui est atteint et un lourd traitement tente d’éviter la cécité. Les leçons de mathématiques quotidiennes que son père lui dispense pendant le mois où ses yeux sont bandés lui révèlent la puissance de l’abstraction. Après une absence de six mois, il revient au lycée, traumatisé par la terreur de perdre la vue et intellectuellement transformé en un élève si doué et si fortement motivé qu’il décroche d’excellentes places au Concours général de mathématiques et de physique. Malgré ses performances, il renonce aux classes préparatoires et poursuit ses études à l’université de Lyon où il prépare l’agrégation en mathématiques ; un de ses professeurs lui conseille alors de se présenter au concours d’admission au CNRS, qu’il réussit peu de temps avant d’être classé premier à l’agrégation. Talagrand rejoint alors l’équipe d’analyse fonctionnelle de Gustave Choquet (1915-2006) à l’université de Paris-VI et y soutient sa thèse de doctorat en 1977. À part quelques séjours extrêmement féconds aux États-Unis, il fera toute sa carrière de chercheur au sein de ce laboratoire.
Marié en 1981 à une mathématicienne sud-coréenne rencontrée trois ans auparavant lors de son premier séjour aux États-Unis, il est le père de deux enfants devenus informaticiens, mais il aime à souligner qu’il n’a jamais utilisé d’ordinateur pour ses recherches. Coureur de marathon qui entretient sa forme physique en montant régulièrement les dizaines d’étages de la tour où il habite à Puteaux, Talagrand est un personnage attachant qui affirme avoir « eu sa dernière bonne idée à l’âge de cinquante-deux ans ». Il a néanmoins publié en 2022 un traité volumineux intitulé What Is a Quantum Field Theory? (Cambridge University Press), destiné à transmettre de façon mathématiquement correcte et « dans un langage que le lecteur puisse comprendre » ce que les physiciens théoriciens utilisent depuis soixante-dix ans pour décrire les interactions fondamentales. Le public auquel il s’adresse ne maîtrise a priori que les mathématiques et la physique élémentaires, ce qui exige « beaucoup d’humilité » de la part de l’auteur, qui reconnaît avec humour que cette vertu « n’est pas la qualité la plus répandue chez les mathématiciens ». Lauréat de nombreux prix parfois accompagnés de sommes importantes, il a créé une fondation qui devrait[...]
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Écrit par
- Bernard PIRE : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
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