TOURNIER MICHEL (1924-2016)
Un matériau romanesque : le mythe
Le mythe devient ainsi un pont entre la philosophie et le roman. « Le passage de la métaphysique au roman devait m'être fourni par les mythes », écrit Michel Tournier dans Le Vent Paraclet. Chacun de ses romans ou contes prend donc sa source dans le mythe ou dans des formes de récits qui lui sont apparentées, qu'il s'agisse de prendre pour thème la solitude (Vendredi ou les limbes du Pacifique), la gémellité (Les Météores), les rois mages (Gaspard, Melchior et Balthazar) ou bien encore des figures mythiques comme Jeanne d'Arc et Gilles de Rais (Gilles et Jeanne, 1983). Pour l'auteur, le mythe revêt une dimension intrinsèquement métaphysique : « À un niveau supérieur, le mythe, c'est toute une théorie de la connaissance ; à un étage plus élevé encore, cela devient morale, puis métaphysique, puis ontologie, etc., sans cesser d'être la même histoire » (Le Vent Paraclet). Pour permettre le passage d'un niveau d'interprétation à l'autre, le romancier n'hésite pas à modifier voire à falsifier les sources des mythes. Comme il le note lui-même : « Les grands mythes ne m'intéressent que dans la mesure où ils nous concernent. » Ainsi, dans Gaspard, Melchior et Balthazar, il invente l'existence d'un quatrième mage. Dans Le Coq et la bruyère, il mêle allègrement le mythe biblique de la genèse avec le mythe platonicien de l'androgyne. Dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, il va jusqu'à inverser le sens moral et métaphysique du mythe, par exemple, en mettant en valeur le personnage de Vendredi par rapport à celui de Robinson, le civilisé. Au contraire du héros de Daniel Defoe qui retourne vers le monde civilisé, le Robinson de Tournier, qui a découvert le bonheur de la « vie sauvage », décide de rester dans son île. Le mythe est un matériau de base pour une exploration purement romanesque. Dans Gaspard, Melchior et Balthazar, Tournier utilise l'absence de connaissances précises sur les rois mages pour créer de purs personnages de fiction. Ainsi, il prête à Gaspard, dont il fait le mage Noir, une relation amoureuse avec une jeune Phénicienne au contact de laquelle il prend honte de sa négritude. Il imagine que la comète représente aux yeux du roi mage la chevelure de sa maîtresse et un appel au voyage qui le guérira de son désespoir. De ce point de vue, le romancier s'identifie au conteur : « Le conteur reçoit une tradition orale et il la transmet. Mais entre-temps, il se l'approprie et il la transforme. Transmet et transforme. Et la transformation, c'est lui ! »
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Écrit par
- Frédéric MAGET : enseignant, professeur de lettres modernes, auteur
Classification
Média
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