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TREMBLAY MICHEL (1942- )

Cycles et chroniques

Les Chroniques du Plateau-Mont-Royal, écrites de 1978 à 1989 à l’exception du sixième tome, Un objet de beauté (1997), puisent aux sources de l’enfance. Le premier tome, La grosse femme d’à côté est enceinte, se déroule en la seule journée du 2 mai 1942. La concentration spatio-temporelle contraste avec la trentaine de personnages impliqués dans l’action. Trois d’entre eux se distinguent cependant : l’héroïne éponyme et deux figures issues du théâtre de Tremblay, Édouard, son beau-frère, connu comme un travesti vieillissant, au nom de scène balzacien, « Duchesse de Langeais », et Marcel, un aliéné, découvert dans En pièces détachées(1972). Même si le réalisme des Chroniques se retrouve dans la description des mœurs du quartier, les apparitions à Marcel de trois « Parques » tricoteuses doublent le récit d’une singulière étrangeté. À l’instar du premier, le dernier tome, Un objet de beauté, se concentre sur une journée une décennie plus tard, en 1952. L’enfant de la grosse femme y découvre sa vocation littéraire au moment même où cette mère tant aimée et enfin nommée par le surnom zolien « Nana », meurt, tandis que Marcel sombre définitivement dans la folie.

Au cycle de Jean-Marc succède le diptyque composé de La Nuit des princes charmants (1995) et Quarante-quatre minutes, quarante-quatre secondes(1997) centré cette fois sur François Villeneuve, chanteur idolâtré par le Tout-Montréal avant d’en devenir le paria. Le romancier ancre ses intrigues au cœur des années 1960, à l’époque où le Québec, sous l’impulsion des libéraux, entreprend de rattraper son retard en matière de développement économique, socioculturel et éducatif. Avec le cycle suivant dit « de Céline » (2003-2005 : Le Cahier noir, Le Cahier rouge, Le Cahier bleu), le romancier retrouve le sens de l’humour et du spectaculaire de l’auteur. Céline est serveuse dans un bordel atypique peuplé de travestis imitant des personnages célèbres. L’œuvre de Tremblay n’en reste pas moins fondamentalement rivée à un personnage central, celui de sa mère que le dernier cycle publié, La Diaspora des Desrosiers(2007-2015), replace au premier plan. Le romancier réinvente l’enfance de Nana, née en 1913, en faisant découvrir au lecteur son cadre originel, la province du Saskatchewan.

Loin d’abandonner systématiquement les personnages anciens au profit de nouveaux, l’œuvre de Michel Tremblay concurrence « l’état civil » québécois en réanimant des figures perdues et retrouvées. Publié en 2017, Le Peintre daquarelles réintroduit le personnage de Marcel, âgé de soixante-seize ans, qui entreprend d’écrire son journal afin de remonter aux sources de sa folie. Michel Tremblay développe ainsi un univers romanesque aussi cohérent que foisonnant, nourri en même temps par le narcissisme fécond de son auteur et son amour viscéral pour les livres « à l’index » de son enfance (Un ange cornu avec des ailes de tôle, 1995).

— Antony SORON

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Écrit par

  • : maître de conférences, habilité à diriger des recherches, formateur agrégé de lettres à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, Sorbonne université

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Média

Michel Tremblay - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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