VINAVER MICHEL (1927-2022)
Un « usage nouveau » du théâtre
Dans son premier « Auto-interrogatoire » (1972), il devançait les objections : « L'impulsion de créer est liée à un refus très profond, ou à une incapacité tout à fait fondamentale, de se satisfaire de l'ordre des choses tel qu'il existe, de reconnaître qu'un tel ordre existe. L'art est une recherche d'un “usage nouveau” dans le sens brechtien. » Et, dans une récente réponse à une éventuelle « dénonciation » dans les pièces consacrées au « monde du travail », il expliquait : « C'est plutôt une exploration, mais qui débouche, tout naturellement, sur la mise au jour du système économique qui est celui du capitalisme, de l'injustice et de la cruauté qui sont inscrites dans son mode de fonctionnement. » Une seule fois, Michel Vinaver a publié, avec La Visite du chancelier autrichien en Suisse (2000), un texte où il expliquait son impossibilité, en tant que juif, de répondre à une invitation en Suisse après l'accueil réservé à Wolfgang Schüssel, venu au pouvoir grâce à une alliance avec le parti populiste et xénophobe de Jörg Haider. Mais il rapprochait cette prise de position du comportement du protagoniste dans son second roman, L'Objecteur : un comportement de réfractaire, à distinguer de celui du rebelle, inspiré de sa propre expérience de jeune engagé volontaire dans l'armée.
Est-ce l'identification à cette figure de l'« objecteur » qui a incité Michel Vinaver à adapter son roman pour le théâtre ? Mais il faut remarquer qu'à l'action, située en 1950, il a ajouté « la préparation du spectacle et sa représentation cinquante ans plus tard ». Pour la première fois, il s'est inspiré de sa connaissance du monde théâtral, de son discours critique sur la mise en scène comme « mise en trop ». Il se livre aussi à une satire qui n'exclut ni la complicité du témoin privilégié ni l'humour de l'autoportrait. Il imagine un auteur susceptible, réputé pour exercer son droit moral par constat d'huissier et pour exiger le respect des indications scéniques. Mais en le montrant aux prises avec une journaliste de Spectaclorama, il vise aussi l'indigence des avant-premières et la réduction, dans la presse, de la place du théâtre. Chez l'administratrice ou le directeur technique, il souligne des travers bien connus, tout en réservant une place de choix au conseiller artistique et littéraire imbu de sa science. Surtout, à travers les personnages de « scénographe et créatrice costumes », « créateur des lumières » et « créateur du son », il continue à défendre sa conception modeste de la mise en scène, contre une tendance au spectaculaire qui s'avère souvent néfaste au texte.
C'était la dernière étape avant un passage à l'acte décisif. Michel Vinaver avait déjà collaboré en 1983 pour la création de L'Ordinaire au travail d'Alain Françon, un metteur en scène en conformité avec ses attentes. Mais l'expérience avait été compromise par une conception réaliste de la scénographie peu compatible avec l'irreprésentable qui caractérise l'anthropophagie. Ce grand lecteur de ses textes en public continuait à se dire privé d'imagination spatiale, étranger à la vision des mouvements sur le plateau. Jusqu'à l'expérience libératrice d'un stage, avec vingt comédiens, animé en compagnie de Catherine Anne, à partir de À la renverse. La tentative s'est avérée si gratifiante qu'elle a débouché sur deux spectacles au printemps de 2006, avec la même équipe, et dans le même espace en rond ; une nouvelle version de À la renverse au Théâtre artistic Athévains, et Iphigénie Hôtel au Théâtre des Amandiers de Nanterre. Proches des spectateurs, les interprètes ont su faire partager le plaisir du jeu,[...]
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Écrit par
- Monique LE ROUX
: maître de conférences honoraire à l'université de Poitiers, critique théâtrale de
La Quinzaine littéraire et deEn attendant Nadeau
Classification
Média
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