MICRO-HISTOIRE
L'objet et les méthodes
Au cœur de la micro-histoire repose le principe de la réduction d'objet : il consiste à appréhender un phénomène historique d'ampleur à travers un filtre, un terrain contrôlable, de taille limitée mais doté d'une grande valeur heuristique. Par l'étude de parcours de vie dans la région de Biella au xixe siècle, Franco Ramella en 1984 écrit une histoire « décalée », insistant sur le rôle de la terre et des communautés locales dans la révolution industrielle (Terra e telai). Un an plus tard, Giovanni Levi reconstitue la hiérarchie sociale d'un village piémontais du xviie siècle, ses structures de parenté, son marché foncier, à partir de l'étude de la clientèle d'un exorciste, et dégage des propositions nouvelles sur l'État moderne (Le Pouvoir au village, 1985).
Les micro-historiens prolongent, bien sûr, certaines traditions historiographiques, à commencer par l'œuvre du grand historien britannique Edward P. Thompson (1924-1993), pionnier dans l'attention portée aux constructions cognitives et idéologiques des plus humbles et dans l'étude de la formation des groupes sociaux. Mais leur éclectisme leur fait repousser les frontières des sciences historiques. Du Tolstoï de Guerre et Paix, la micro-histoire retient les faux-semblants d'une hiérarchie souvent contrainte d'entériner les micro-décisions prises par ses subordonnés. Surtout, elle s'appuie sur une lecture approfondie de l'anthropologie sociale britannique. L'école dite de Manchester qui, sous la direction de Max Gluckman (1911-1975), a analysé, dans le deuxième tiers du xxe siècle, l'entrée de l'Afrique australe dans la modernité urbaine, inspire une approche ethnographique, où des situations à la fois banales et révélatrices (l'inauguration d'un pont par exemple) bouleversent les découpages traditionnels entre le politique, le social, l'économique. Un des dérivés de cette école est l'analyse des réseaux sociaux qui, refusant l'opposition entre individualisme et holisme, promeut l'étude des nœuds de relations. Contrairement à une idée reçue, la micro-histoire se situe à l'échelle de la configuration (Norbert Elias) et non de l'individu : elle insère les personnes dans un tissu de liens qui, simultanément, les aident et les contraignent, en conditionnant leur marge de manœuvre. Une autre inspiration déterminante a été celle de l'anthropologue norvégien Fredrik Barth. Les micro-historiens reprendront plusieurs préceptes de ses ouvrages antistructuralistes des années 1960 : l'attention portée aux échelles, aux processus d'engendrement des formes sociales, à l'incertitude préalable à toute action, au pouvoir heuristique des formes rares. De ce dernier, Carlo Ginzburg donnera dès 1976 une illustration célèbre avec Le Fromage et les vers : c'est via l'étude d'un meunier hérétique du Frioul ayant inventé une cosmologie tout à fait singulière que l'auteur reconstitue la culture savante et populaire du xvie siècle. La notion d'« exceptionnel normal », forgée en 1977 par Edoardo Grendi, formalisera cet intérêt pour les formes limites.
De Barth, la micro-histoire retient aussi une forme de positivisme redoublant la sensibilité matérialiste d'une partie de ses fondateurs. La micro-histoire partage la méfiance des sciences sociales de son époque à l'égard des catégories acquises. Mais, au lieu de les déconstruire par une généalogie des savoirs, selon la voie ouverte par Michel Foucault (1926-1984), elle compte sur l'observation approfondie des expériences individuelles pour produire des connaissances neuves, non sans irrévérence pour l'historiographie qui la précède. L'importance donnée à la démarche empirique et aux archives, qui verse[...]
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Écrit par
- Paul-André ROSENTAL : professeur des Universités, Sciences Po, Paris
Classification
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