MICROCOSMOS (C. Nuridsany et M. Pérennou)
Dès les débuts du cinéma, les cinéastes ont été attirés par ce que révèle à l'œil, grâce au relais de l'objectif photographique, la part du règne animal ou végétal qui échappe à la vision normale. Insectes, arachnides, poissons minuscules, crustacés laissent entrevoir à la fois des splendeurs de formes et de couleurs et un univers de créatures inquiétantes, ou pour le moins étranges. L'approche scientifique, qui a stimulé les premières tentatives (dès 1898, Charles Pathé avait créé dans ses studios de Vincennes un laboratoire de prise de vue scientifique, consacré aux vues ultramicroscopiques réalisées par le Dr Comandon), n'a pas empêché la poésie de recouvrer ses droits, comme l'atteste le célèbre Hippocampe, réalisé par Jean Painlevé en 1934. Accompagné d'une musique de Darius Milhaud, le film enthousiasma les surréalistes. Le dépassement des fonctions sensorielles de l'homme a, en d'autres domaines, fait naître bien des espoirs de découverte d'un ailleurs. Les grands documentaristes (Vertov, Flaherty, Perrault, Marker) ont, chacun à sa manière, reconnu que la projection des premières prises leur révélait ce qu'ils n'avaient pas vu au tournage. La machine est plus qu'un prolongement de nos sens.
À l'opposé du film scientifique, cette intrusion à notre échelle de tout un bestiaire à peine soupçonné a stimulé l'imagination et a réactivé d'anciennes légendes peuplées de monstres. La science-fiction américaine a imaginé des insectes ou autres animaux de petite taille devenus géants à la suite de quelque mutation ou invasion extraterrestre et affrontant les hommes, comme dans Them! (Des monstres attaquent la ville, Gordon Douglas, 1953), à moins que ces derniers, nouveaux Gulliver condamnés à rétrécir, ne se retrouvent désemparés devant de formidables adversaires. Et n'oublions pas ce que la découverte des sociétés complexes et immuables des abeilles ou des fourmis a inspiré à la sociologie-fiction.
Cette double fascination, scientifique et imaginaire, se retrouve en un subtil dosage dans Microscosmos, de Claude Nuridsany et Marie Pérennou. Les qualités de l'investigation, la patience de l'approche, l'ingéniosité du dispositif, la prise de vue en résumé présentent toutes les caractéristiques de la recherche : elle est maniaque, méticuleuse et perfectionniste. Le montage, la musique (Bruno Coulais et Laurent Quagilo), la construction d'ensemble témoignent d'un goût de la fable et du conte, de la métaphore et même de l'allégorie, qui évoquent autant la science que la poésie d'inspiration panthéiste : « Cherchez dans la nature étalée à vos yeux,/[...]/Le mot mystérieux que chaque voix bégaye » (Victor Hugo).
Cette triple filiation – cinéma scientifique, bestiaire de la science-fiction et des vieilles légendes, poésie en quête de nature – ne signifie pas inspiration directe. En se réclamant de Jean-Henri Fabre et de Jean Rostand tout autant que de leur fréquentation assidue de la Cinémathèque, les auteurs prouvent cependant qu'ils associent sans hiérarchie culture scientifique et culture artistique.
Le centimètre, échelle de cette autre planète dissimulée par la nôtre comme dans une poupée russe, définit un nouvel espace, sans cesse raccordé à l'espace commun par le retour à des plans d'ensemble de la prairie des origines. Une herbe qui devient jungle, un arbre qui devient continent, des mares qui deviennent océans, dominés par une voûte étoilée tellement différente des plafonds de studio de fiction, nous font passer vertigineusement de l'infiniment petit à l'infiniment grand. Pour régir ce micro-espace, un micro-temps : c'est le commentaire, salutairement réduit à quelques phrases en début de film, qui introduit cette autre dimension inaccessible aux caméras les plus sophistiquées pour rappeler[...]
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Écrit par
- Guy GAUTHIER : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot
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