MICROÉCONOMIE Incitations et contrats
De la fin du xixe siècle aux années 1960, la théorie économique a principalement cherché à comprendre la manière dont les prix se forment sur le marché et conditionnent les comportements des consommateurs et des producteurs. Ce long travail a abouti au « modèle d'équilibre général » qui reste emblématique de la façon dont les économistes appréhendent le monde. Ce modèle décrit la formation des prix lorsque consommateurs et producteurs interagissent sur les marchés où s'échangent simultanément les différents biens économiques.
Les limites du modèle d'équilibre général en tant qu'instrument descriptif sont toutefois apparues assez rapidement. La prise en compte des interactions stratégiques entre agents y est, en effet, très pauvre : les entreprises comme les acheteurs sont supposés prendre les prix comme donnés. Cette hypothèse de concurrence parfaite n'est évidemment qu'une caricature de la vie des entreprises sur un marché où elles fixent elles-mêmes leurs prix, et où la concurrence par les prix n'est d'ailleurs qu'un élément de leur confrontation.
Dans le même ordre d'idées, l'organisation interne des institutions qui régissent les relations économiques n'apparaît guère dans les modèles d'équilibre général. C'est notamment le cas pour les entreprises, qui sont réduites à un ensemble de production, c'est-à-dire à une description mathématique de leurs possibilités technologiques. La relation de travail y est aussi réduite à une prestation de services par le salarié, qui vend son travail contre un salaire. Sont ainsi négligés les aspects hiérarchiques des relations entre les différents intervenants dans l'entreprise.
Une autre lacune majeure de la théorie de l'équilibre général porte sur son traitement de l'information dont disposent les différents agents. Cette théorie ne prend pas bien en compte les asymétries d'information, c'est-à-dire le fait que certains agents disposent d'une information plus riche que d'autres : un chef d'entreprise connaît mieux ses conditions de production que ses concurrents ou sa clientèle ; un consommateur est mieux au fait de ses goûts que ceux qui souhaitent lui vendre leurs produits, etc. Inévitablement, ces agents vont chercher à exploiter l'avantage en matière d'information dont ils disposent sur leurs partenaires : le chef d'entreprise cherchera à dissuader ses concurrents, en prétendant qu'il a des coûts de production très bas, et le consommateur cherchera, par exemple, à simuler l'indifférence afin de se voir proposer un prix plus bas. La prise en compte des asymétries d'information ne peut donc se faire sans traiter l'aspect stratégique des interactions auxquelles elles conduisent ; et c'est là que la théorie de l'équilibre général est particulièrement déficiente.
Ce qu'on appelle l'« économie de l'information » regroupe deux domaines de l'économie qui ont émergé dans les années 1970 : la théorie des incitations et la théorie des contrats, qui puisent leurs origines dans ces insuffisances du modèle d'équilibre général. L'idée s'est fait jour à cette époque qu'un « détour de production » était nécessaire. Il convenait de s'éloigner temporairement des modèles d'équilibre général, qui fournissent une description fortement cohérente mais peu réaliste de l'économie, pour se tourner vers des modèles plus partiels mais qui prennent en compte toute la complexité des comportements stratégiques des agents au sein des liens institutionnels qui définissent les possibilités de leur action. L'espoir des initiateurs de l'économie de l'information était que les enseignements généraux tirés de ces études puissent ensuite être intégrés au sein d'une nouvelle théorie de l'équilibre général qui soit plus satisfaisante. En attendant, ces nouvelles théories[...]
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Écrit par
- Bernard SALANIÉ : professeur d'économie à l'université Columbia, New York
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