MICROGRAPHIA (R. Hooke)
La publication de Micrographia, or Some Physiological Descriptions of Minute Bodies Made by Magnifying Glasses, en 1665, a été une étape fondamentale dans l’initiation des recherches fondées sur l’usage du microscope, et a largement servi la réputation de la jeune Royal Society fondée en 1660. Robert Hooke (1635-1703), l’auteur de cet ouvrage, était lui-même membre de la Royal Society, au titre de conservateur des expériences (curator of experiments).
Micrographia est d’abord un ouvrage technique. Hooke utilise, certainement pour la première fois, un microscope composé (lentille oculaire et lentille objectif) fabriqué sur le modèle inverse du télescope. Il en décrit la construction – bien qu’il n’est pas certain qu’il en soit le réalisateur –, et l’usage. Pour pallier la faible luminosité des échantillons, il met au point un condenseur de lumière qui focalise cette dernière sur l’échantillon. Hooke insiste sur la préparation des échantillons à observer, dont celles des coupes minces, selon leur nature et selon le type d’observation que l’on veut mener. La description technique est suivie de soixante observations accompagnées de trente-huit schémas. À première vue, aucun choix logique ne préside à ces observations. Elles vont en effet de la pointe d’une aiguille à des fibres de tissus, en passant par des coupes de liège (l’observation la plus célèbre) et de petits animaux (ailes d’insectes, puces, poux…). Le but n’est effectivement pas de procéder à une description systématique d’un thème scientifique : il s’agit de montrer la puissance d’observation donnée par l’instrument qui révèle un monde nouveau, microscopique. La Royal Society est le promoteur de cette modernité scientifique, que mettront rapidement à profit des chercheurs comme Marcello Malpighi, Jan Swammerdam, Antoni van Leeuwenhoek, etc.
Les schémas dessinés par Hooke et les gravures pour l’impression sont d’une grande qualité. Les dessins d’insectes sont d’une beauté très réaliste et tranchent nettement avec les illustrations naturalistes de l’époque. Ce ne sont pas les commentaires de Hooke qui ont contribué au succès de l’ouvrage ; Micrographia est d’abord un « beau livre », il n’a probablement jamais eu l’ambition d’être un ouvrage scientifique. D’ailleurs, le livre de Hooke est le produit d’une commande de la Royal Society, laquelle, ayant compris l’importance de l’image dans la réputation d’une institution, avait misé sur les qualités d’expérimentateur et de dessinateur de Hooke. D’autres ouvrages de dessins de petits organismes observés au microscope avaient été publiés auparavant, notamment en Italie, pour le compte de l’Accademia dei Lincei en 1626, et à Londres. Mais aucun n’avait atteint la qualité esthétique et technique de Micrographia. Par exemple, les abeilles observées au microscope et dessinées par Francesco Stelluti en 1623 pour flatter le pape Urbain VIII (Maffeo Barberini) sont pitoyables comparées à celles de Hooke.
Il n’en reste pas moins que la réputation actuelle de Hooke comme « grand scientifique » repose sur un malentendu. On lui attribue en effet l’invention du mot cell (cellule), pour désigner la brique unitaire qui constitue l’ensemble du monde vivant. On lit d’ailleurs souvent qu’il fut un des pères de la théorie cellulaire. La lecture du texte original contient effectivement le mot cell (observation XVIII, schéma 11), pour désigner la ressemblance partielle des coupes dans un morceau de liège, avec les cellules des nids d’abeille. Le texte explicatif de Hooke s’efforce de leur trouver une fonction et il conclut qu’il s’agit de la section des tubes ou pores qui traversent la plante de part en part et portent la sève. Il n’y a pas mention de la notion de cellule – ce qui aurait été d’ailleurs surprenant à cette époque –, ni aucune spéculation théorique sur le[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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