ASTURIAS MIGUEL ÁNGEL (1899-1974)
Une clarté de miroir pulvérisé dans l'air
Roman mûri au cours des longues années d'exil, Le larron qui ne croyait pas au ciel nous entraîne jusqu'aux confins de la terre, dans ces Andes vertes dont le prologue au Miroir de Lida Sal évoquait le sortilège. Un enchevêtrement de lacs et de fleuves nimbe le paysage de lumière aquatique. La confusion des règnes plonge les personnages dans une atmosphère de rêve éveillé. Ouvert sur le chant funèbre des guerriers mam surpris par l'arrivée d'« êtres outrageux » venus d'une autre planète, par la mer, le récit retrace l'errance mi-picaresque, mi-théologique d'un groupe d'aventuriers issus de la plus authentique tradition hétérodoxe, cherchant, avec la folle passion des utopistes de la Renaissance, la confluence naturelle des deux océans qui baignent les côtes du Nouveau Monde. Refusant l'analyse manichéenne de la Conquête, Asturias dégage le processus de décomposition interne dont celle-ci fut le catalyseur ; sa version personnelle de l'événement associe la « vision des vaincus » exhumée des chroniques indigènes à l'éphéméride héroïque du sentiment de désarroi qui s'empara des envahisseurs stupéfaits, ravis et finalement emportés par leur découverte. Le mystère est ici des deux côtés, et l'impression d'échec partagée. Signe des appétits matériels du conquistador, la figure grimaçante du Mauvais Larron domine l'intrigue. Une poignée de transfuges, farouches partisans des thèses sadducéennes, croient trouver un écho de leur hérésie dans les contorsions douloureuses des adorateurs de Cabracán, le dieu des Tremblements de terre. Mal leur en prend : deux d'entre eux n'échappent au massacre que pour se perdre dans la jungle. En contrepoint, l'auteur use de toutes les ressources du langage pour dédier un épithalame à l'union des antagonistes. Amoureuses, nuptiales ou violemment copulatives, les métaphores conduisent à la naissance de l'enfant, « produit de deux races déjà fondues à jamais, comme deux océans de sang... sous un ciel qui croit étrenner, cette nuit, toutes les étoiles ».
Telles sont les prémices d'un texte difficile empreint d'ésotérisme, publié initialement dans sa traduction française sous le titre de Trois des quatre soleils. Asturias y transcende les brillantes intuitions poétiques de Claireveillée de printemps, à partir d'une même référence à la cosmogonie maya. Selon celle-ci, la création du monde s'est accomplie au fil des âges (ou « soleils ») dont la genèse fut marquée par une série de cataclysmes. Ému par le souvenir du tremblement de terre qui détruisit sa maison natale, le narrateur assiste, émerveillé, avec les yeux de l'enfant qu'il fut, à l'instauration du chaos au sein de son univers familier. Sous les traits d'un saltimbanque (avatar du divin Cuculcán, mais aussi de figures plus libres comme Jean Tournevole et Quadriciel), il recommence, entouré d'une bande de petits singes espiègles, la descente souterraine de l'Ancêtre fondateur et une même ascension des sphères célestes. Sa disparition prélude à la naissance d'une ère nouvelle. Intronisé par une catastrophe, le chant s'achève en apothéose. Il démarque les grandes divisions du Popol Vuh, reproduites sous une forme voisine dans les Annales des Xahil et observées aujourd'hui encore par l'ancien calendrier chorti. Les trois premières ressortissent au comput lunaire réglant le cycle du maïs, la quatrième est réservée au culte solaire qui annonce le passage de la préhistoire au règne de la civilisation. Inscrit dans un tel cadre, le texte transpose le mythe érigeant la Parole en aliment spirituel de l'humanité.
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Écrit par
- Rubén BAREIRO-SAGUIER : ambassadeur du Paraguay en France, écrivain
- Bernard FOUQUES : agrégé de l'Université, maître assistant à l'U.E.R. des langues vivantes étrangères de l'université de Caen
Classification
Média
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