EMINESCU MIHAIL (1850-1889)
Une œuvre inachevée
À part les cinq épîtres, qui sont relativement longues – elles ont quelques centaines de vers chacune –, l'œuvre d'Eminescu se réduit à un recueil de courts poèmes, des sonnets, des pièces en forme de romances populaires, cent trente morceaux environ. Mais cette œuvre publiée ne représente qu'une très petite partie, le vingtième, peut-être moins encore, des textes manuscrits laissés par le poète. Et ce n'est pas un des aspects les moins dramatiques de cette existence qu'elle cesse au moment de sa plus grande fécondité. Eminescu avait le pressentiment de sa fin. Dans un de ses vers, il note que l'instrument est brisé et que le maître est devenu fou. Il avait également claire conscience de son génie et de son destin comme poète et comme homme. Il a laissé dans son chef-d'œuvre, le poème « Luceafărul » (« Hypérion »), une sorte de testament spirituel : une jeune enfant, fille de roi, est amoureuse d'un astre brillant. Elle l'appelle chaque soir de la fenêtre du château paternel, au bord de la mer. Ému par cette invocation, l'astre descend des cieux et surgit de l'océan sous les traits d'un prince. Mais la jeune fille lui demande davantage : qu'il renonce à son éternité d'astre pour devenir un être humain. Hypérion s'engage alors dans une longue errance interstellaire pour rejoindre Dieu afin d'obtenir la cessation de son privilège. Mais, de là-haut, le Seigneur lui montre un affreux spectacle : la fille du roi, Catalina, s'est laissé prendre à l'amour d'un jeune page. Elle est avec lui dans son jardin et demande à l'astre-prince d'illuminer son bonheur. Hypérion comprend la vanité du sacrifice auquel il allait consentir. Il ne rejoindra pas les humains. Il restera à jamais nemuritor şi rece, « immortel et froid ».
Que ce chef-d'œuvre ait été composé en quatre-vingt-quatorze petites strophes de quatre vers courts, sur le rythme et selon la facture des poèmes populaires, voilà qui donne au plus haut sommet de la lyrique roumaine le caractère d'une extraordinaire réussite.
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Écrit par
- Alain GUILLERMOU : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'Institut national des langues et civilisations orientales et à l'université de Paris-Sorbonne
Classification
Autres références
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ROUMANIE
- Écrit par Mihai BERZA , Catherine DURANDIN , Encyclopædia Universalis , Alain GUILLERMOU , Gustav INEICHEN , Edith LHOMEL , Philippe LOUBIÈRE , Robert PHILIPPOT et Valentin VIVIER
- 34 994 mots
- 17 médias
...plusieurs décennies, la Junimea et les Convorbiriliterare ont régenté les lettres roumaines. Leur grand titre de gloire est assurément d'avoir patronné à ses débuts le poète Mihail Eminescu et permis au conteur Ion Creangă de publier ses œuvres, récits populaires et souvenirs d'enfance.