LEIGH MIKE (1943- )
Le premier long-métrage de Mike Leigh, Bleak Moments (1971), fit de lui aux yeux de la critique internationale un des chefs de file du renouveau du cinéma britannique réaliste, aux côtés de ses aînés Ken Loach et Stephen Frears. Mais le second, High Hopes (« les grands espoirs »), ne verra le jour que dix-sept ans plus tard, la noirceur de son univers et sa méthode de travail ayant rebuté nombre de producteurs tandis que le cinéma national était de plus en plus colonisé par Hollywood.
Des personnages plus vrais que nature
Né le 20 février 1943 à Salford (Lancashire), Mike Leigh entre en 1960 à la Royal Academy of Dramatic Art, mais la quitte deux ans plus tard, la trouvant trop académique, pour étudier le dessin, puis s’initier au cinéma à la London International Film School. Tout en étant très marqué par Renoir et par la nouvelle vague française, il participe au travail de troupes de théâtre expérimentales et à celui de la Royal Shakespeare Company. Il écrit et monte sa première pièce, The Box Play, en 1965. La dixième, Bleak Moments (1971, léopard d’or au festival de Locarno) sera adaptée au cinéma. La méthode de Mike Leigh est née de ces années de théâtre. Elle repose sur un travail d’improvisation qui ne se déroule pas devant la caméra, mais au cours des semaines de répétition qui précèdent le tournage. Il part d’un canevas très mince pour élaborer progressivement characters et scénario avec la participation des acteurs. Bleak Moments décrit la vie quotidienne d’une jeune secrétaire qui veille, dans son pavillon de banlieue, sur sa sœur mentalement retardée et ne parvient pas à communiquer avec un jeune instituteur mal dans sa peau et une collègue de bureau qui fuit les imprécations de sa vieille mère. Une caméra discrète enregistre ces silences gênés, ces conversations de diversion, ces gestes manqués, autant de « moments tristes, sombres » composés de pure durée. Mais Mike Leigh ne cherche pas à apitoyer. Ici, le malaise et la maladresse pathétique des personnages engendrent humour et distance.
De 1972 à 1985, tout en continuant à écrire et à monter des pièces de théâtre, Mike Leigh tourne pour la BBC et Channel Four une quinzaine de téléfilms, qui lui permettent d’approfondir sa vision d’un univers presque minimaliste (décor, récit, dramatisation) et sa description de l’Angleterre au quotidien (« small time England »).
Il revient au cinéma en 1988 avec High Hopes, nourri du même climat dépressif que dans Bleak Moments. Mais, aiguisé par quelques années de thatchérisme, l’humour se fait plus grinçant. La famille est de nouveau au cœur du film, puisque les deux héros, Shirley (Ruth Sheen) et Cyril (Philip Davis), qui vivent de petits boulots, s’interrogent après une dizaine d’années de vie commune. Elle souhaiterait avoir un enfant. Lui, socialiste pur et dur, s’y refuse dans un monde où manquent le travail, le logement, la nourriture, et aussi longtemps que la royauté n’aura pas été abolie ! Entre une mère qui perd la tête, une sœur hystérique gagnée par le culte de l’argent, un beau-frère cynique et des voisins yuppies arrogants, nos héros se trouvent en plein marasme psychologique et idéologique.
Attitudes velléitaires, chômage, petits boulots, boulimie, rêves vite évanouis au contact de la réalité marquent également la famille de Life Is Sweet (1990), prolétaire, misérable et passablement kitsch. Finalement, la famille se retrouve autour de son « chef », cuisinier malgré lui et victime d’un « accident du travail ». La réconciliation sonne faux, mêlant béhaviorisme et satire au vitriol. Mike Leigh n’offre aucune issue à ses personnages : plus de contestation, même plus de rapports de classes... Il est vrai que chaque figure est à la fois improbable et contradictoire, mais terriblement « vraie ».
Avec Naked (1993), l’œuvre s’ouvre à une dimension[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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