LEIGH MIKE (1943- )
La famille contre la société
Secrets and Lies (Secrets et mensonges, 1996), au contraire, propose finalement une forme d’espoir en se recentrant sur la famille, la quête de l’origine, et en relatant l’histoire d’une femme noire adoptée qui découvre soudain que sa mère biologique est blanche. Si la famille est au cœur du cinéma de Mike Leigh, celle-ci n’en est pas moins éclatée. Les personnages de Secrets et mensonges sont solitaires, fragiles, désespérés, voire hargneux, parce qu’ils doivent vivre dans un monde en miettes. Le cinéma, lui-même constitué de plans isolés qu’il faut ensuite coller les uns à la suite des autres pour donner vie à un film, a pour Mike Leigh vocation à rendre à la famille et au monde un semblant d’unité.
Au festival de Cannes 1996, la palme d’or qui couronne ce film et le prix d’interprétation décerné à Brenda Blethyn, suivis d’un succès public, incitent Mike Leigh à poursuivre dans cette voie, qui dément le manque de générosité à l’égard de ses personnages que certains lui ont reproché. En mineur, Career Girls (Deux Filles d’aujourd’hui, 1997) raconte les retrouvailles à Londres de deux amies qui se sont connues étudiantes six ans plus tôt. Elles se voient désormais partagées entre l’enthousiasme du souvenir et le présent d’une Angleterre thatchérienne teintée d’amertume.
Beaucoup plus surprenant est Topsy-Turvy (1999), coûteuse production en costumes. Le film raconte un épisode de la carrière de William Schwenck Gilbert (librettiste et metteur en scène) et d’Arthur Sullivan (compositeur), deux auteurs d’opérette anglaise de l’ère victorienne. Topsy-Turvy ne repose pas sur les classiques difficultés rencontrées pour monter un spectacle. C’est directement de création que parle ici Mike Leigh à travers ce couple d’artistes en proie au doute et près de renoncer à la suite d’un cuisant échec, avant de trouver une solution en changeant totalement de source d’inspiration. Mike Leigh lui-même est alors confronté à la nécessité de se renouveler au temps de l’après-thatchérisme, en retrouvant le contact avec un large public populaire. Une phrase de William Gilbert dans le film inspirera la suite de sa carrière : « Toute composition est par nature contrainte. »
All or Nothing (2002), l’un des plus beaux et des plus poignants films de Mike Leigh, paraît au premier abord prolonger le dispositif dramatique et cinématographique de High Hopes et de Life Is Sweet. Le film pousse pourtant bien plus loin le sentiment de misère matérielle et sociale des personnages et ses conséquences psychologiques, en même temps qu’il débouche, dans la scène finale, sur une tendresse inédite à ce degré dans l’œuvre de Mike Leigh. Le père, Phil (Timothy Spall), chauffeur de taxi désabusé, est accablé de reproches par tous. La fille, Rachel, obèse et apathique, est femme de ménage dans un hospice. Le fils, Rory, lui aussi obèse, mais hargneux et colérique, allergique à tout travail, se goinfre de nourriture et de télé. Quant à Penny (Lesley Manville), caissière dans un supermarché, c’est une « mère courage » qui refuse de baisser les bras, admoneste et conseille chacun sans en attendre vraiment de résultat. Le HLM déprimant de la banlieue londonienne où vit cette famille est la représentation typique du cinéma de Mike Leigh : des cellules séparées qui communiquent plus ou moins en fonction des va-et-vient, des femmes surtout, dans les escaliers ou sur les balcons. Un malaise cardiaque de Rory révèlera une solidarité sous-jacente du voisinage tout en faisant éclater une crise familiale au terme de laquelle chacun et chacune se verra remis en question.
Avec Vera Drake (2004), Mike Leigh inverse sa démarche dramatique habituelle. Au lieu de partir de personnages déjà enlisés dans les difficultés, le film commence dans une tonalité optimiste, avec une famille modeste et apparemment[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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