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LEIGH MIKE (1943- )

Fidélité au réel

Comme tous les héros et héroïnes de Mike Leigh, Poppy (Sally Hawkins, prix d’interprétation à la Berlinale), dans Be Happy (Happy-Go-Lucky, 2008), ne demande qu’à être aimée. Sa méthode est symbolisée par le refrain d’une célèbre chanson de Lorie, la « positive attitude ». Comportement qui vaut pour elle-même, mais aussi pour tous ceux qu’elle rencontre. Poppy refuse les soucis tout en se souciant des autres. Son attitude est aussi communicative que son rire. Et plus encore pour le spectateur lorsqu’elle se heurte à un moniteur d’auto-école marqué par le sens tragique de la vie. Sa rencontre finale avec un alter ego n’est pas la conclusion d’un conte de fées. Poppy se limite à l’idée d’« essayer » prudemment une relation amoureuse. En papillonnant constamment, court-elle après le bonheur ou le fuit-elle ?

Poppy exaltait la liberté, l’optimisme, l’insouciance de la jeunesse, lorsque l’avenir est encore devant soi. Pour le couple de Another Year (2010), le temps se conjuguerait plutôt au passé. Tom (Jim Broadbent) et Gerri (Ruth Sheen), la soixantaine, habitent une HLM, mais apprécient surtout le jardin ouvrier où ils accueillent leurs proches. À commencer par leur fils Joe, célibataire à plus de trente ans, Ken, ami d’enfance de Tom, célibataire lui aussi, mais du genre plaintif, et surtout Mary (Lesley Manville), collègue de Gerri, que l’alcool aide à oublier les désastres qui ponctuent sa vie. Elle méprise Ken, drague Joe, se montre déplaisante à l’égard de la conquête de ce dernier, Katie… Les saisons passent et, l’hiver venu, Joe et Katie rêvent de visiter Paris, tandis que Mary se lamente toujours, que Tom et Gerri se souviennent de leur jeunesse de routards… Chacun a ses raisons et sa façon de prendre la vie, au tragique ou avec insouciance. Tom et Gerri n’ont cessé de jouer les conciliateurs, mais constatent avec amertume que le résultat leur échappe de plus en plus.

Malgré la parenthèse de Topsy-Turvy, on imagine mal le monde de Mike Leigh situé dans un passé lointain ou libéré d’un ancrage familial. C’est pourtant le cas de Mr. Turner (2014) qui évoque, au début du xixe siècle, les trente dernières années de la vie du peintre. Après le rejet de son épouse et de ses deux filles et la disparition de son père dévoué, il passe de la maison « familiale » à la pension de famille de Mrs. Booth, qui deviendra sa compagne et auprès de qui il mourra. Mr. Turner ne cherche pas à reconstituer les minutes de la vie du peintre ni à décrire les hauts et les bas de sa célébrité. Mike Leigh emprunte évidemment bien des traits à ce que l’on connaît du vrai Joseph Mallord William Turner, en particulier son côté taciturne, rustre, indifférent à tout protocole. À l’aide de l’un de ses fidèles, l’acteur Timothy Spall – prix d’interprétation masculine au festival de Cannes 2014 –, Leigh force le trait jusqu’à la caricature. Le réalisateur ne cherche pas à établir un lien entre les paysages que traverse ce touriste infatigable, sublimement filmés, mais comme par inadvertance, par le grand opérateur Dick Pope, et ce que l’on entrevoit des œuvres de Turner. Deux scènes éclairent pourtant la démarche originale du cinéaste. La première est celle où Turner horrifie son entourage en se précipitant pour faire le croquis d’une fillette noyée que l’on vient juste de retirer de l’eau. La seconde est celle, légendaire, où il renvoie au néant les prétentions de coloriste de son rival Constable dans L’Inauguration du pont de Waterloo, en agrémentant d’une simple tache rouge son propre tableau, Helvoetluys. Faut-il se détourner d’un cadavre par respect des convenances ou créer la lueur d’espoir faisant éclater la vie au cœur du tragique du monde ? Tel est l’enjeu de la peinture selon Turner. Et à l’évidence du cinéma selon Mike Leigh…[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Média

Mike Leigh - crédits : Ron Galella, Ltd./ Ron Galella Collection/ Getty Images

Mike Leigh

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