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CHOLOKHOV MIKHAIL (1905-1984)

La « ligne » et le réalisme socialiste

L'œuvre de Cholokhov appartient à une littérature d'affirmation du socialisme, une littérature combative ; « de guerre », alors que Soljénitsyne et Tvardovski marqueront le tournant vers des écrits de contestation. L'écrivain de l'époque de Cholokhov a un devoir : susciter la foi dans la révolution et le parti ; le grand critère de l'art est « la représentation réaliste de la vie à partir des positions du parti ». Cholokhov, disciple de Gorki, aborde donc les problèmes brûlants de son temps dont il a une connaissance particulière et vécue. « Je ne rassemblais pas les documents, je les ratissais et les mettais en tas. Vivez un mois dans un kolkhoz et vous saurez ! » (déclaration aux écrivains bulgares). Les premiers récits du Don nous présentent les images pittoresques et sanglantes (la cruauté est le trait dominant de l'œuvre) de la vie des Cosaques dans les premières années de la guerre civile et surtout les luttes qui déchirent les familles divisées en Rouges et Blancs. Dans la nouvelle Le Grain de beauté, par exemple, le père, un Cosaque révolté, reconnaît son fils dans le garde rouge qu'il vient de tuer et se suicide de désespoir. Ces nouvelles restent teintées d'un manichéisme primaire et d'un optimisme résolu. L'auteur ne s'est pas encore assez abstrait du « bain de réalité » et ne parvient pas à brosser « un tableau complet de la réalité dans toute sa variété et complexité » – tel est le but de la littérature, dit Cholokhov à Sofia en 1951.

C'est dans Le Don paisible que Cholokhov réussit « la grande synthèse de l'époque en images », la synthèse de l'élément historique et de l'élément humain : il n'est plus question de familles ni de héros isolés, mais de la terrifiante épopée de la paysannerie russe. Le récit est centré sur la vie de Grégoire Mélékhov « un paysan moyen ». Fidèle aux théories de Staline, Cholokhov montre ses hésitations devant la révolution. Grégoire prend part à la révolte des Cosaques contre le pouvoir soviétique, puis, gagné à la cause socialiste, passe dans l'Armée rouge. Il est finalement rejeté pour sa vie passée et se retire dans son village. Il représente l'homme qui n'a pas trouvé sa voie pendant la révolution. Le Don paisible révèle aussi l'aspect inhumain de la guerre, la fin d'un mode de vie patriarcal et l'espoir d'une société nouvelle illustré par l'apparition de la famille de Dounia. Si la première grande œuvre de Cholokhov est engagée, le héros central n'est pas un héros positif ; il apparaît plutôt comme le point de rencontre tragique de deux conceptions de la vie et se distingue par là des personnages schématiques des premières nouvelles.

Plus didactique, le roman Terres défrichées oppose de façon systématique les bons communistes (Yagoulnov, Davidov, Razmetov) aux mauvais contre-révolutionnaires et koulaks (Polovtsev, etc.). L'œuvre décrit les luttes, les résistances des paysans et le triomphe final de la « ligne ». Pourtant, le héros comique, le vieux Choukar, qui rachète le roman par sa verve, son personnage haut en couleur, ne parvient pas à nous faire oublier les erreurs de la collectivisation, les millions de koulaks exterminés à cette époque et que l'auteur passe sous silence. Cholokhov sacrifie trop clairement aux nécessités de la politique cette « vérité parfois rude mais toujours courageuse » qu'il exige de l'écrivain. Dans les dernières œuvres, toutes militantes, Cholokhov met en évidence l'anéantissement féroce du monde socialiste par les troupes de Hitler, la destruction de la famille dont le bonheur précaire a coûté tant de peines et de courage. Le recours au mythe du soldat russe et le messianisme humanitaire sont certainement très orientés. Mais dans la dénonciation du fascisme,[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Paris-XIII, président fondateur de l'Institut international Charles-Perrault

Classification

Autres références

  • RÉALISME SOCIALISTE

    • Écrit par , et
    • 3 542 mots
    • 1 média
    ...C'est la littérature qui exerçait l'influence la plus profonde et la plus large sur les masses. Certaines œuvres du début, tels Le Don Paisible de Cholokhov, ou La Défaite de Fadeïev, purent franchir les écueils du dogmatisme doctrinaire et se tailler une place importante en tant qu'œuvres littéraires....
  • SOVIÉTIQUE LITTÉRATURE DE GUERRE

    • Écrit par
    • 853 mots
    • 1 média

    Dans l'histoire des lettres soviétiques, la littérature de guerre proprement dite succède à la littérature de la guerre civile presque sans solution de continuité : Cholokhov publie le dernier livre du Don paisible en 1940 et La Science de la haine en 1942.

    Le foisonnement de la littérature...