LERMONTOV MIKHAÏL IOURIEVITCH (1814-1841)
L'œuvre
Le poète
L'œuvre de Lermontov est inégale. Les plus beaux vers appartiennent presque tous aux quatre ou cinq dernières années de la vie du poète. Les poèmes d'adolescence, puérils et informes, se présentent plutôt comme un matériau lyrique encore brut. Certains sommets émergent pourtant. En 1831 (le poète a dix-sept ans) est écrit Angel (L'Ange) qui est déjà un chef-d'œuvre de la poésie romantique. Il exprime la nostalgie d'une âme jeune et pure envers cette patrie céleste qui est la patrie de toute une part de son inspiration. Ce cynique, ce don Juan, ce bretteur a ressenti et chanté la nostalgie des « autres mondes ». Le noyau visionnaire, fantastique de l'œuvre de Lermontov n'a encore jamais été mis en évidence. Lermontov est, avec Alexandre Blok, le seul poète russe qui ait connu « une autre vie ». Cette faculté de voir le « lointain pays » de l'éternité qui transparaît à travers les visions de ce monde-ci se manifeste pour la première fois dans L'Ange, se retrouve dans ses plus belles poésies et dans son grand poème, Le Démon.
Autant Lermontov a été secret et renfermé dans sa vie personnelle, autant ses poésies lyriques frappent par leur pathétique franchise. Tout y est dit, avec violence et passion, sans cette apparence de légèreté qui est l'apanage de Pouchkine. Lermontov dit sa solitude, son mépris du monde, sa désillusion quant à la vie et aux hommes. Il confesse son insatisfaction morale et le tourment que lui causent les problèmes du mal, du péché, de la damnation. Lermontov exprime ces thèmes universels d'une manière accessible à tous, bien que souvent sentimentale et même mélodramatique. Par sa forme particulièrement mélodieuse et musicale, par la chaleur et l'universalité des sentiments, la poésie de Lermontov ne peut pas ne pas émouvoir. Par sa passion, son pathétique, son énergie, c'est essentiellement la poésie de la jeunesse, la poésie de Pouchkine étant celle de la maturité et celle de Tiouttchev, de la vieillesse.
Les grands poèmes les plus importants sont Le Démon (Demon, 1838-1841), Le Novice (Mtsyri, 1839) et Le Chant du marchand Kalachnikov (Pes'nja pro udalogo kupca Kalašnikova, 1837). Les deux premiers sont romantiques et byroniens, ils respirent la révolte et l'individualisme exacerbé de leur auteur.
Le Démon est l'histoire de l'amour de l'esprit du Mal pour une mortelle. Il a pour cadre le Caucase. Malgré une certaine puérilité de conception, cette œuvre contient de très beaux passages et possède une incomparable musique verbale. Lermontov a su créer une atmosphère magique qui a hanté des générations de lecteurs et inspiré des poètes tels que Blok et Pasternak. Avec Eugène Oniéguine de Pouchkine, Le Démon est le poème le plus populaire du xixe siècle. Mtsyri (mot géorgien qui signifie « le novice ») est la confession que fait un adolescent rebelle à son père spirituel. L'action se passe également au Caucase. Dans ce long poème, les descriptions de la nature sont belles et recèlent cette magie, ce côté fantastique et visionnaire dont il a été question ci-dessus. Mais l'ensemble est inachevé et décevant.
Le Chant du marchand Kalachnikov appartient à un tout autre genre. Il est écrit dans un style populaire et réaliste qui l'apparente à une série de poésies particulièrement importantes, composées entre 1837 et 1841. Dans sa poésie réaliste – réalisme très particulier, tout imprégné d'une nostalgique et mystérieuse poésie –, Lermontov apparaît comme un véritable maître et un descendant direct de Pouchkine. Il faut citer les plus remarquables de ces créations : Borodino (1837), Valerik (1840), Zaves̀čanie (1840, Le Testament), Rodina (1841, La Patrie). On peut se demander d'où ce jeune aristocrate mondain, élevé par des précepteurs français et anglais,[...]
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Écrit par
- Sophie LAFFITTE : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Média
Autres références
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RUSSIE (Arts et culture) - La littérature
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