LOMONOSSOV MIKHAÏL VASSILIEVITCH (1711-1765)
Pierre le Grand avait tenté de répandre chez ses sujets quelques éléments de civilisation. Il s'agissait, en vérité, de leur enseigner les bonnes manières et certains rudiments de technologie : l'heure des beaux-arts, d'une recherche scientifique et d'une littérature nationales n'avait pas encore sonné. Un demi-siècle plus tard, Catherine II tenait à compléter l'œuvre de Pierre Ier en accordant son soutien à tous ceux dont le talent contribuait à imposer l'image d'une Russie devenue l'égale de l'Europe dans la diffusion des Lumières. Occupant de son activité proprement encyclopédique l'intervalle qui sépare les deux règnes, Lomonossov représente avec éclat le type même de l'intellectuel, inconnu jusqu'alors dans un pays aux traditions culturelles presque exclusivement populaires et religieuses : « Il fut à lui seul notre première Université », disait Pouchkine.
Une vie au service du savoir
Né près de Kholmogory, dans le gouvernement d'Arkhangelsk, fils de pêcheur, Mikhaïl Vassiliévitch Lomonossov apprit à lire auprès d'un paysan, dévora les quelques livres du voisinage, et gagna Moscou à pied en décembre 1730. Il apprit les langues anciennes, surtout le latin qui lui servit de moyen de communication avec les savants européens, à l'Académie slavo-gréco-latine, où les conditions d'existence étaient plutôt misérables : « Touchant une bourse de trois kopecks par jour, je ne pouvais en consacrer plus d'un demi au pain, un autre demi au kvas, réservant le reste pour le papier, les chaussures et autres nécessités de l'existence. J'ai passé ainsi cinq années sans renoncer à la science. » Au début de 1736, il fut envoyé à l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, qui lui permit d'accroître ses connaissances à l'étranger. À Marbourg, il étudia la physique avec Christian Wolff (1679-1754), et cultiva en même temps les belles lettres. En 1739, à Freyberg, il s'initia à la chimie, à la géologie et à l'industrie minière. Rentré en Russie en 1741, il ne tarda pas à être remarqué par la nouvelle impératrice Élisabeth Pétrovna, et fut nommé professeur de chimie à l'Académie des sciences, en août 1745. Il s'efforça de développer la science russe encore balbutiante, et se querella avec les Allemands qui dirigeaient l'Académie. Il s'occupa d'abord de physique, puis de chimie, et, dans la dernière partie de sa vie, surtout de sciences naturelles et appliquées. Nommé en 1758 directeur du département de géographie à l'Académie, il lança une vaste enquête topographique, ethnique et économique, dont il ne put exploiter les résultats, car ils mirent plus de dix ans à parvenir !
Au milieu de tant de travaux scientifiques, Lomonossov se fit de bonne heure un nom dans les belles lettres. Auteur estimable de poèmes et de pièces de théâtre, il appliqua son esprit précis et lucide aux problèmes de la création poétique, et établit en plusieurs traités les bases sur lesquelles allait lentement se constituer la littérature russe. On l'a souvent comparé à Boileau ou à Malherbe : sa position littéraire ressemblerait plutôt à celle d'un Du Bellay sans la Pléiade. Ses vues retiennent l'attention moins par leur originalité que par leur opportunité. Il était alors nécessaire que l'acquis des principaux théoriciens et grammairiens classiques fût condensé en russe et étayé d'exemples nationaux. Moins heureuse fut l'incursion de Lomonossov dans l'histoire. Son Histoire ancienne de la Russie depuis l'origine de la nation russe jusqu'à la mort du grand duc Iaroslav Ier (1054)[Drevnjaja rossijskaja istorija], parue après sa mort en 1766 et traduite en français dès 1769, pèche à la fois par une emphase désagréable et une information superficielle.[...]
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Écrit par
- Michel CADOT : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
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