JANCSÓ MIKLÓS (1921-2014)
Deux cinéastes emblématiques incarnent la qualité et l'originalité du cinéma hongrois : aujourd'hui Béla Tarr ; hier Miklós Jancsó, lion d'or du festival de Venise 1990 pour l'ensemble de son œuvre.
Né en 1921 à Vac, non loin de Budapest, Miklós Jancsó mène tout d'abord de front des études de droit, d'ethnographie et d'histoire de l'art. Devenu docteur en droit (1944), il décide de se consacrer au cinéma conçu comme mode d'expression politique. Il suit la formation de l'École supérieure d'art dramatique et cinématographique de Budapest (1946-1951). De 1949 à 1964, il réalise une vingtaine de courts-métrages et trois longs-métrages, dont Cantate (1962), qui évoque l’insurrection de Budapest en 1956. Mais c'est seulement à plus de quarante ans qu'il atteint sa maturité artistique avec son premier chef-d'œuvre, Les Sans-espoir, présenté au festival de Cannes 1965.
Inspiré par l'histoire de la Hongrie depuis les années 1860, le cinéma de Jancso – une trentaine de longs-métrages réalisés entre 1958 et 2010 – s'affirme par essence politique. Sur un registre choral, il déploie ses fictions sur deux axes : la stigmatisation de la violence et de l'idéologie totalitaire ; l’apologie d'un projet révolutionnaire en quête d'un « socialisme à visage humain ». Son thème central est la résistance de l'homme aux ruses et à la violence du pouvoir. Comme dans un chant pathétique et funèbre, le cinéaste évoque trois époques tragiques où l'homme s’est vu broyer dans un étau de fer : la répression conduite par les Habsbourg au lendemain du Compromis austro-hongrois de 1867 (Les Sans-espoir, 1965) ;la cruauté de la guerre civile pendant la révolution russe de 1917 (Rouges et Blancs, 1967) ; la dictature de l'amiral Horthy après l'écrasement du soulèvement communiste de Béla Kun en 1919 (Silence et cri,1968, Agnus Dei, 1971). À ce cycle initial de la répression et de la terreur traité en noir et blanc succède un cycle en couleurs qui évoque l'aspiration au socialisme des révoltes paysannes des années 1890 (Psaume rouge, 1972), puis l'implantation du communisme en Hongrie au cours des années 1945 (Ah ! ça ira, 1969). Dans une autre perspective, au cycle de la révolution meurtrie (Rouges et Blancs)ou écrasée (Silence et cri)s'oppose celui de la révolution triomphante (Ah ! ça ira, Psaume rouge).
La dimension politique de l'œuvre de Jancso, qu’on retrouve dans les films ultérieurs comme Rhapsodie hongroise (1976), Allegro barbaro (1975), Le Cœur du tyran (1981) ou L’Aube (1985), atteint une très grande puissance de suggestion grâce aux structures esthétiques du récit qui jouent sur l'espace et donnent la primauté aux longs plans-séquences (au sein desquels se discerne un montage intérieur) et aux mouvements de caméra. DansLes Sans-espoir, l'espace resserré du fortin est modelé par une géométrie de la terreur (ovales, cercles, lignes parallèles, rectangles ou carrés formés par les rangs des soldats ou des captifs) qui suggère l'asservissement des derniers partisans de Kossuth, le héros de l’indépendance hongroise, cachés au milieu de paysans innocents. Pour transcrire l'engrenage implacable de la guerre civile (Rouges et Blancs), le cinéaste dilate au contraire l'espace en ayant recours au grand écran du cinémascope, aux plans d'ensemble des paysages dépouillés et immenses de la Volga, à la profondeur de champ et aux prises de vues aériennes. Dans Silence et cri, les perspectives horizontales de la puszta hongroise, le recours constant aux plans–séquences, le déplacement des personnages à l'intérieur de ces plans souligné par de longs travellings latéraux transcrivent l'emprisonnement de l'homme dans les filets de la « terreur blanche ».[...]
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Écrit par
- Michel ESTÈVE : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma
Classification
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