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KUNDERA MILAN (1929-2023)

L'art du roman

L'édition de la Bibliothèque de la Pléiade retient quinze ouvrages jugés dignes d'accéder au statut d'œuvre : neuf romans publiés entre 1967 et 2003, un recueil de nouvelles (Risibles amours), un hommage à Diderot (Jacques et son maître, 1975) et quatre essais (de L'Art du Roman en 1986 à Une Rencontre en 2009). Ces ouvrages se répartissent entre huit écrits initialement en tchèque, puis revus à partir de la version de référence française, et sept directement rédigés en français. L'idée trop séduisante d'un cycle tchèque auquel succéderait un cycle français, avec un épisode intermédiaire correspondant à l'écriture de L'Immortalité (1990) soulève plus de difficultés qu'elle n'en résout. Elle ne coïncide en effet ni avec la biographie de l'exil (Kundera continue d'écrire en tchèque durant les dix premières années de son séjour en France) ni avec la thématique de l'œuvre, profondément unifiée selon des principes de composition musicale, comme le montrent bien les études de F. Ricard et de G. Scarpetta.

L'édition « définitive » correspond donc à la « morale de l'essentiel » définie par Kundera, mais aussi à ce qu'il nomme sa « conversion antilyrique ». Durant sa jeunesse tchèque, il a sacrifié à la « muse poétique », comme le futur Jaromil de La vie est ailleurs (1973), dans une veine où l'expérimentation d'avant-garde le disputait difficilement à l'académisme jdanovien ; les quatre recueils de poèmes ainsi que deux pièces de théâtre, jugées immatures, sont ainsi expulsés du périmètre de l'œuvre.

C'est donc en romancier que se fixe pour la postérité l'image de Kundera, en romancier de plus en plus français, fasciné par la leçon de Diderot et de Vivant Denon (deux figures honorées dans La Lenteur, 1995) même si son esthétique se place d'abord sous le « ciel étoilé de l'Europe centrale ». Ses essais et sa prose romanesque le situent dans l'héritage spirituel de la triade Musil-Broch-Gombrowicz : de l'espace mental de L'Homme sans qualitésassocié à la lecture de Husserl, Kundera tire la leçon que le roman moderne prend le relais de la méditation philosophique pour se faire « connaissance » de l'existence et phénoménologie du sensible. C'est en effet dans cette Europe centrale, dans la Bohème de Kafka, que s'est développée une forme de burlesque qui marque aussi la pente satirique de l'écriture de Kundera et l'acuité d'une dérision qui n'exclut pas la mélancolie : Karel Čapek, Jaroslav Hašek y ont influencé l'imaginaire national en créant le héros mythique de la littérature populaire, le brave soldat Chveik, ballotté par les tribulations de l'Histoire. Les personnages kundériens, du Ludvik de La Plaisanterie au Jakub de la Valse aux adieux, en gardent quelques traits. C'est aussi dans ce « paradigme de nébulosité » (Musil) incarné par l'Europe centrale que le grand roman s'est renouvelé magistralement selon Kundera pour faire naître ce « troisième temps » dans le sillage duquel il veut inscrire son « roman qui pense ». Ce terreau fragile et fécond, si tributaire des aléas de l'Histoire, l'essai Le Rideau en formule d'ailleurs l'équation saisissante : « Le maximum de diversité dans le minimum d'espace ».

L'art du roman que célèbre cette « prose de l'existence » ne doit pas cependant se confondre avec un rejet de la poésie. Bien au contraire, il en conserve la nostalgie dans son entreprise même de déconstruction (« Le romancier naît toujours sur la maison démolie de son lyrisme », confie Kundera dans un entretien de 1984). Il donne à la distance ironique la prévalence sur la subjectivité romantique et l'assurance parfois meurtrière de l'affirmation dogmatique.[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en littérature française à l'université de Lyon II-Lumière

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Médias

Milan Kundera - crédits : Louis Monnier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Milan Kundera

<it>Risibles Amours</it>, Milan Kundera - crédits : Courtesy Milan Lundera/ D.R.

Risibles Amours, Milan Kundera

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