MILLÉNARISME
Les grands moments du millénarisme chrétien
Du christianisme primitif au Moyen Âge occidental
Le millénarisme, très vivace dans le christianisme des premiers siècles, était professé aussi bien par des « orthodoxes », tels Irénée de Lyon à la fin du iie siècle et Hippolyte de Rome au début du iiie siècle, que par des « hérétiques » comme les montanistes, d'origine phrygienne, et, déjà à la fin du ier siècle, par certains gnostiques (Cérinthe). Au début du iiie siècle, le millénarisme asiate touche des chrétiens africains comme Tertullien. Au début du ive siècle encore, Lactance place le millenium parmi les attraits du christianisme. Mais un courant antimillénariste se dessinait au sein du christianisme. Il fut d'abord inspiré par le discrédit d'une conception trop terrestre et matérielle de l'idéal chrétien, puis par la crainte ressentie devant les tendances hérétiques et révolutionnaires des mouvements millénaristes. Origène, au iiie siècle, transporta le millenium de la société terrestre dans l'âme individuelle. Après des hésitations, Augustin, au début du ve siècle, interpréta le millénarisme comme une allégorie spirituelle (Cité de Dieu, XX, vii), et le poids de son autorité au Moyen Âge fut une arme essentielle contre les millénaristes. En 431, le concile d'Éphèse condamna la conception littérale du millenium. Désormais l'Église insistera sur la parousie, le Jugement dernier, le second millenium, le millenium céleste.
Pendant le Moyen Âge, l'antithèse qui oppose Rome, tête du paganisme, ville de la Bête (à l'instar de Babylone), et Jérusalem, lieu de l'Incarnation appelé à redevenir, en Terre sainte ou ailleurs, la capitale du Royaume, change de sens. Rome, c'est l'Église matérielle qui doit être et sera détruite ; Jérusalem, c'est l'Église spirituelle qu'il faut instaurer. Ainsi le millénarisme médiéval ne sera pas seulement entraîné fatalement vers l' hérésie ; il sera aussi naturellement antiromain, antipontifical, anticatholique. Il ne reprit de l'importance qu'à partir du moment où, vers l'an mille, la contestation religieuse s'unit à la protestation sociale face à un monde en plein développement économique qui s'installait de plus en plus dans des structures d'inégalité et de hiérarchie. Il fut un des aspects de la critique et de la lutte contre l'ordre féodal.
Le millénarisme groupait des troupes hétéroclites de fidèles où dominaient les pauvres, les déracinés, où les femmes étaient nombreuses autour d'une sorte de prophète, monarque qui prêchait le refus du monde (et souvent de formes précises d'exploitation, tel le versement de la dîme), la préparation de la destruction de la société – et d'abord de la société ecclésiastique –, l'attente d'un monde d'égalité et de communauté. Tels furent Tanchelm dans le diocèse d'Utrecht, et plus particulièrement à Anvers (entre 1110 et 1115) ; Eudes de l'Étoile (autre nom d'Éon de l'Étoile) dans l'ouest de la France, entre 1140 et 1150 ; un ermite mendiant qui se fit passer pour l'empereur Baudouin de Constantinople en Flandre et Hainaut en 1224-1225 ; le Maître de Hongrie qui, en 1251, fut le chef, en France, du mouvement des « pastoureaux ». Dans tous les cas, la répression du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir laïc s'abattit sur ces mouvements ; les chefs furent exécutés et leurs « églises » éphémères se désagrégèrent.
À partir de la fin du xie siècle, les courants millénaristes furent particulièrement forts au sein de la croisade : ainsi dans la première croisade, la « croisade des pauvres » de Pierre l'Ermite et Gautier Sans Avoir, qui fut prolongée par le mouvement des Tafurs (conduit par le « Roi Tafur ») et par les pogroms d'Enrico[...]
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Écrit par
- Jacques LE GOFF : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Médias
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