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MILLET / VAN GOGH (exposition)

Aussi instructive que riche en œuvres de haute qualité, l'exposition Millet/Van Gogh, présentée au musée d'Orsay du 14 septembre 1998 au 3 janvier 1999, aurait pu, a priori, sembler dépourvue d'intérêt véritable. Quiconque connaît tant soit peu la personnalité de Van Gogh sait en effet qu'il nourrissait pour Millet une admiration qu'on ne comprend plus guère, car celui-ci continue à souffrir d'une fâcheuse réputation d'artiste sentimental, un peu niais, dont les tableaux constitueraient à peu de choses près l'équivalent des romans rustiques de George Sand, et donnèrent lieu à une exploitation commerciale du plus mauvais aloi : ainsi, le nom même de L'Angélus évoque encore irrésistiblement un couvercle de boîte à bonbons.

Qu'une telle réputation se soit maintenue après la rétrospective organisée à Paris au Grand Palais en 1975, qui révéla même aux plus réticents la grandeur de Millet, ne saurait surprendre. Le souvenir d'une exposition se perd vite avec la disparition de ceux qui la visitèrent, et elle n'exerce d'action durable que si elle suscite, en plus des comptes-rendus, des livres largement diffusés. Tel ne fut pas le cas pour Millet, qui reste, avec Puvis de Chavannes, l'un des grands méconnus parmi les peintres du xixe siècle.

Le premier intérêt de l'exposition du musée d’Orsay tenait donc à ce qu'elle réunissait un certain nombre d'importants tableaux de Millet qui n'avaient plus été montrés à Paris depuis 1975, comme Le Semeur (Museum of Fine Arts, Boston), L'Homme à la houe, L'Été et L'Automne des Saisons Hartmann, ou L'Hiver aux corbeaux (Galerie autrichienne, Vienne) – occasion pour les uns de vérifier que l'impression de jadis n'avait pas été trompeuse, pour les autres de découvrir la grandeur de son art. Rien que pour le plaisir de voir ces œuvres ou de les revoir, l'exposition méritait une visite assidue.

Il n'est pas exclu que le mépris relatif qui pèse sur Millet aujourd'hui encore tienne pour une part au succès dont a joui son art vers la fin du xixe siècle, alors que triomphait un réalisme académique qui avait fait de lui un modèle. On ne voyait dans ses œuvres que les sujets rustiques, à une époque où la peinture du monde paysan jouissait de la faveur du public et des sphères officielles. Mais il avait aussi d'autres admirateurs, et c'est parmi eux que se rangerait Van Gogh, pour lequel il a joué un rôle décisif, bien mis en valeur par l'exposition et longuement analysé dans le catalogue par Louis Van Tilborgh, conservateur en chef des collections du musée Van Gogh d'Amsterdam.

Ce sont pourtant les sujets rustiques qui semblent avoir d'abord attiré Van Gogh, et l'on pourrait trouver une explication à ce qui peut paraître aujourd'hui un manque de discernement dans le fait qu'il n'a pu voir, au cours de son existence, qu'un nombre restreint des tableaux de Millet, et que la connaissance qu'il avait de l’œuvre de celui-ci reposait surtout sur des reproductions gravées et des photographies, dont il possédait lui-même un certain nombre.

Lorsque, en 1880, Van Gogh décide d'abandonner la théologie pour embrasser une carrière d'artiste, il commence son apprentissage par l'étude de reproductions des dessins de Millet illustrant les Travaux des champs. En 1882, la lecture du livre d’Alfred Sensier lui révèle une autre dimension du personnage, sorte de prêtre méconnu d'une religion de la nature auquel il va s'efforcer de ressembler. Cette volonté d'identification est restée suffisamment forte pour que, à Saint-Rémy, pendant l'hiver de 1889-1890, la plupart des copies qu'il exécute pour lutter contre le doute qui l'assaille aient pour modèle des œuvres de Millet.

Mais celui-ci n'inspira[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève

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