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MINUIT, Mao Dun Fiche de lecture

Symbole et tragédie

Minuit souffre certes de la rigidité qui caractérise le roman à thèse. Les nombreux développements consacrés aux spéculations boursières en rendent même la lecture souvent aride. L'ouvrage acquiert néanmoins, par son atmosphère et la relative complexité de ses personnages principaux, une autre dimension. Le titre lui-même installe, par-delà le message révolutionnaire – le cœur des ténèbres, qui précède l'avènement d'un monde nouveau – un climat angoissant, relayé en cela par les notations météorologiques : le soleil printanier du début fait place à une ambiance orageuse qui s'alourdit au fil des chapitres. Le malaise de Wu Sunfu dans les dernières pages fait écho à celui auquel succombe son père dès l'ouverture du livre : la société à laquelle ils appartiennent est condamnée. La plupart de ses semblables se complaisent encore dans un luxe décadent, ignorant la catastrophe qui les menace. Quelques personnages féminins – généralement les plus réussis chez Mao Dun – font contrepoint, par leur mélancolie peu combative, à cet univers étouffant. Le changement rapide de lieux, les entrées en scène et les sorties incessantes renforcent l'impression de mouvement et la théâtralité du récit. Au cœur de ce tourbillon, Wu Sunfu cherche à lutter contre la spirale infernale qui l'entraîne et sa vaine lucidité fait de lui un vrai personnage de tragédie, cependant que son patriotisme l'élève au-dessus du « capitaliste réactionnaire » auquel on l'a souvent sommairement assimilé. Ainsi, après avoir vu dans cet industriel voué à la défaite une figure purement idéologique, la critique redécouvre-t-elle aujourd'hui son humanité et sa fragilité de héros tragique.

— Isabelle RABUT

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Écrit par

  • : professeure émérite à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO)

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