MIRACLE
La notion de miracle est une notion religieuse, c'est-à-dire que ce n'est ni un concept philosophique ni un concept scientifique.
Lorsque des philosophes ou des savants, des physiciens ou des métaphysiciens, parlent du miracle, ils traitent en fait d'un autre problème. Ce qui les intéresse, c'est une question de leur ressort : déterminisme ou indéterminisme ? nécessité ou contingence ? Plus clairement : y a-t-il des lois de la nature ? Sont-elles absolues ? Admettent-elles des dérogations, des violations ? À ces questions, les réponses diffèrent selon les écoles.
Généralement, les philosophes estiment contradictoire qu'un système de lois, s'il existe, là où il existe, puisse souffrir exception : brisé sur un point, il se déferait sur tous les autres. Dans ce sens, pour Spinoza, le miracle ne serait pas un simple caprice : il serait l'impossibilité de l'ordre, la négation de l'idée de monde.
Certains philosophes précisent cependant que nul ne connaît le système du monde, qu'en toute hypothèse il est plus complexe, plus riche et plus fin que les formules qu'on en pourrait donner, qu'en conséquence il y a lieu de distinguer entre ce système universel, mais inaccessible, et les systèmes partiels (les ensembles de relations) qui sont susceptibles de contrôle. En somme, on ne découvre nulle part le déterminisme ; on rencontre des déterminismes ; non l'ordre total, mais des segments ou des fragments.
De son côté, la science continue à se fonder sur le postulat du déterminisme (s'il n'y avait de l'ordre, il n'y aurait que des données ponctuelles, sans interaction réelle, sans lien intelligible). Mais les manières de concevoir ce déterminisme se relaient et se combattent ; de même les manières de définir la loi scientifique (qui, en tout état de cause, a perdu son caractère rigide, impératif).
Bien plus, si l'on en croit l'épistémologie contemporaine, il semble que la science de la nature n'exige pas d'être au clair sur les notions de loi ou de déterminisme (et pas même sur le concept de nature). Il lui suffit de construire idéalement des systèmes hypothético-déductifs et de les faire départager par l'expérimentation. Elle atteint alors du vérifié, ou plutôt, si l'on s'exprime en rigueur, du non-falsifié, du non-démontré-faux. Pour aller de l'avant, pour être efficace, la science n'a besoin que de ce laissez-passer modeste et tacite, provisoire et révocable.
Si physiciens et métaphysiciens parlent d'autre chose quand ils parlent du miracle, mieux vaut consulter l'histoire des religions ou la phénoménologie de la religion. Ce sera une source plus sûre, en tout cas plus directe. Malheureusement, aucun phénomène de culture n'est pur, exempt de tout mélange, pas même la religion ; de sorte que la notion de miracle, au terme d'une longue évolution, pourrait bien pâtir d'inévitables compromis.
L'homme primitif et les puissances mystérieuses
Pour l'homme archaïque, le merveilleux et le prodigieux sont des index de transcendance qui s'imposent spontanément, qui vont de soi, qui sont « tout naturels ». Il se représente le divin, le sacré, le numineux, en termes de puissance, et même de surpuissance, de toute-puissance. Il est aidé en cela par l'imagination, par le jeu normal, quoique ambigu, de l'imagination. Celle-ci se croit souveraine, douée d'une efficacité sans limites : ce qui entraîne nombre de psychologues (pas seulement les psychanalystes) à la doter d'une essence magique, superstitieuse. En fait, l'imagination n'est pas seule en cause, et elle n'est pas nécessairement dupe de ses procédés. Pour elle, l'impossible est possible. Mais cet impossible, elle le rapporte à un pouvoir distinct du sien ; elle l'attribue à une puissance qu'elle ne se reconnaît pas. La preuve en est[...]
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Écrit par
- Henry DUMÉRY : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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