MIRACLE
L'histoire sacrée et les « œuvres de Dieu »
Un troisième pas est franchi lorsque le prodigieux, signe de grâce, n'est plus perçu en situation « naturelle », mais en situation historique, lorsqu'un groupe religieux particulièrement inventif (Israël) récuse l'animisme, condamne l'idolâtrie, expulse ou retouche les mythes de représentation, leur préfère un mythe d'action, et décide de « signifier » Dieu par une exigence morale, par une intention de perfection dont le rôle pourra rester indéfiniment moteur. (Un tel idéal s'actualise dans l'effort, dans la suppression effective et progressive de ce qui retarde ou compromet l'harmonie universelle, la réconciliation de l'homme avec l'homme et avec la nature, mais il ne devient jamais réalité, réalité totale et définitive : son actualisation même rouvre l'avenir, engendre une nouvelle attente, une nouvelle espérance, car chaque réalisation accroît l'exigence et contient la promesse d'une réalisation meilleure.)
L'avantage de cette position est double. Elle fonde l'histoire comme création de fins, comme devenir orienté, comme modification, de l'homme et du monde. Simultanément, elle obtient un dieu sans visage et sans image, puisque le dieu moral, seigneur de l'histoire, n'est plus objet de représentation, mais source d'action, source d'un dynamisme qui révèle ce que Dieu veut, ce qu'il fait, non ce qu'il est : connu pratiquement, historiquement, par des actes, il ne l'est ni spéculativement, par des notions, ni imaginativement par des représentations. On doit même dire qu'il n'est convenablement désigné que comme dieu caché, en vertu de l'iconoclasme propre à la religion « historique », le trait distinctif de cette religion étant d'en appeler de ce qui est à ce qui doit être, de ne jamais se figer, de se « désétablir » au fur et à mesure qu'elle s'établit (l'acquis n'est conservé que comme tremplin vers d'autres découvertes).
Dans ce contexte, pour employer une formule qui n'est pas une définition, mais une indication, Dieu est ce qu'on fait parce qu'il le fait faire ; il est plus encore ce qui reste à faire, parce qu'il exige qu'on dépasse ce qu'on a fait (ou qu'on le défasse, si on l'a mal fait) pour continuer à faire.
Dans ce contexte aussi, la nature n'est plus une symbolique divine adhérente aux choses, y adhérant sans l'intermédiaire de l'homme, sans l'entremise de l'action historique qui n'est pas nature, mais culture, qui n'est pas simple donné, mais créativité, liberté. Il en résulte que, pour la première fois, les choses se mettent à signifier de façon anthropologique, mais non anthropomorphique. Car elles signifient ce que l'homme peut en faire (moralement, religieusement), non ce qu'elles miment de l'homme lorsqu'on les pourvoit d'intentions volontaires, de significations intentionnelles, analogues à celles des consciences.
On devine que, dans ce cadre, qui est celui d'une nature prise en charge par l'histoire, d'une nature comme lieu et instrument de l'histoire, le prodigieux, même « naturel » (surgissant dans la nature, affectant la nature), aura une portée tout autre que pour le fétichisme ou le paganisme. Il sera lui-même « historique », rendu signifiant, pourvu de valeur, par l'idéal choisi comme fin de l'histoire. Il ne sera plus un signe naturel, mais positif, au sens où la positivité, en religion comme en histoire, n'est pas un fait matériel, mais un fait humain. Par là sera dénouée l'équivoque de l'animisme, qui ensemence les âmes dans les choses, les intentions dans les objets ; seront surmontés sa prodigalité, son foisonnement de symboles. Dans un univers où les correspondances surabondent,[...]
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Écrit par
- Henry DUMÉRY : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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