HAVET MIREILLE (1898-1932)
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La trajectoire fragile et émouvante de l’écrivaine française Mireille Havet fait d’elle un météore des lettres que la publication de son Journal a permis de redécouvrir.
Née le 4 octobre 1898 à Médan (auj. dans les Yvelines), du peintre Henri Havet et de Léoncine Cornillier, Mireille Havet grandit dans une atmosphère intellectuelle et préservée, bourgeoise en dépit d’une pauvreté insouciante. La famille vit à Auteuil et passe ses étés à la Chartreuse de Neuville, qui accueille des intellectuels désargentés. Là, elle rencontre de jeunes poètes, ainsi que la lumineuse animatrice Ludmila Savitsky, future traductrice de Virginia Woolf et de James Joyce, qui prend sous son aile la petite fille farouche. Lorsqu’elle entre au collège en 1912, elle a commencé à écrire poèmes et textes en prose. L’année suivante, elle entame une correspondance avec Guillaume Apollinaire, qui devient son mentor et qui publie en décembre 1913 dans Les Soirées de Paris un conte fantastique et des poèmes de sa « petite poyétesse ».
Son adolescence est aussi marquée par le deuil : son père, neurasthénique, meurt à l’asile en 1913. L’année suivante, elle est renvoyée du collège. La guerre éclate l’été de ses 15 ans. D’abord réfugiée en Anjou, elle retrouve Paris avec bonheur en 1916 et rencontre le Tout-Paris littéraire, notamment Jean Cocteau, qui devient son modèle et ami. Sa jeunesse, son allure de jeune dandy provocateur et son talent lui ouvrent les portes : « La vie est d’une prodigalité presque effrayante ». Ses textes sont publiés en revues, et ses nouvelles, La Maison dans l’œil du chat (1917), préfacées par Colette.
Lorsque la guerre se termine, on apprend la mort d’Apollinaire : « Nos maîtres sont morts […] tous nos amis sont morts. Notre faute est d’y survivre ». Mireille a « l’âge de l’amertume – vingt ans » et s’étourdit dans les fêtes factices de l’après-guerre. En 1919, une passion déçue pour Madeleine de Limur la plonge dans un désespoir qu’accentue le deuil de son statut d’enfant prodige : « J’étais une petite fille sauvage et sombre, je suis devenue un pantin que chacun peut faire saluer, sauter, danser et s’asseoir à son gré ». Avec Marcelle Garros, veuve de l’aviateur Roland Garros (1888-1918), elle se réfugie dans l’opium et vit un amour tendre et durable, qui n’empêche pas les liaisons éphémères et les « basses noces » dans le Paris des Années folles.
Mireille Havet n’a publié qu’un roman, Carnaval. Cette transposition cryptée de sa passion pour Madeleine de Limur, où elle sacrifie aux conventions de son temps en se rebaptisant Daniel, paraît d’abord en 1922 dans la collection Les Œuvres libres, puis chez Albin Michel en 1923. Ce roman dans l’air du temps, un peu cubiste, qui juxtapose dialogues, notes de journal et lettres, est salué par la critique.
Tous les manuscrits dont parle ensuite son journal, notamment le roman Jeunesse perdue, commencé en 1924 avec l’ambition de peindre l’échec de sa génération, ont disparu. Jamais Mireille Havet n’a écrit l’œuvre géniale à laquelle elle semblait promise et qu’elle se reproche de trahir. Mais on peut penser que l’écriture qui l’occupe avant tout à partir de 1918 est celle de son journal intime, où elle dépose ses masques, et qui est sans doute venu remplacer la grande œuvre dont elle rêvait.
Le Journal est un des premiers textes à parler de façon aussi crue, directe et incandescente, de la sexualité entre femmes. Ilest aussi le récit d’une autodestruction. Les drogues deviennent le refuge, la famille, et la servitude de Mireille Havet : « La morphine, et sa sœur la cocaïne, et l’héroïne son aînée […] sont mes compagnes et ma consolation atroce ». Elle les mélange à des excitants divers, et ses velléités de désintoxication régulières sont fort peu convaincues. Le journal livre des descriptions pathétiques de son état, lorsqu’à la fin elle ne sait plus où piquer entre les cicatrices des abcès.
Mais cette déçue de la vie rêvée refuse la vie commune et la demi-mesure. Elle a fait dès l’adolescence le choix de l’oisiveté entretenue, a choisi d’être poète et laisse aux bourgeois la santé, qui « empeste la contrainte et la rage ». En 1923, la mort de sa mère la replonge dans le deuil et les désirs de suicide, et on salue son interprétation de la Mort dans Orphée de Cocteau. En 1924, elle commence une nouvelle histoire d’amour avec Reine Bénard, voyage beaucoup. En 1928, elle part pour l’Amérique, pour rejoindre une femme mais aussi larguer les amarres. Son retour, en avril 1929, marque le début de la fin : huissiers, démolition de son quartier, abcès, pleurésie et début de tuberculose.
S’ouvre alors une période de misère et d’errance : elle mendie à ses amis de l’argent et un toit, vit dans des hôtels miteux dont elle s’enfuit en abandonnant des manuscrits, se sent glisser vers la folie, comme son père et son oncle : « 30 ans ! L’âge où j’ai exactement perdu tout ce que je possédais à 20 ans. » En 1931, elle part pour Montana, en Suisse : sollicité par ses amies, son oncle, Pierre-Émile Cornillier, prend en charge les frais du sanatorium, où elle meurt le 21 mars 1932. On peut lire quelques rares nécrologies, avant l’oubli.
En 1929, elle avait confié ses papiers à son amie Ludmila Savitsky. Plus de soixante-dix ans plus tard, sa petite-fille les retrouve dans un grenier. Ces archives sont aujourd’hui conservées à la bibliothèque de l’université Paul-Valéry Montpellier. Le manuscrit retrouvé du Journal (1918-1929) a été publié en cinq volumes, entre 2003 et 2012, aux Éditions Claire Paulhan.
Si celle du roman était plutôt convenue, l’écriture du Journal, souvent drôle, parfois déchirante, est très singulière, entre poème en prose, récit et pamphlet. Certes, la sincérité du Journal le rendait impossible à publier de son vivant ; toutefois, le fait que Mireille Havet ait réussi à le conserver dans sa vie d’errance, puis à le transmettre, montre qu’elle souhaitait le donner à lire à la postérité. Même dans l’adversité, elle met une assiduité obsessionnelle à l’écrire, comme prise dans un compte à rebours. Elle écrit d’un jet, avec peu de ratures, à la fin au crayon, d’une écriture presque illisible, sur des feuilles volantes de plus en plus fines.
Au fil du temps, elle considère son journal comme une œuvre à part entière, un « livre fait » et un « document […] d’une logique implacable, et où tous les événements s’enchaînent sans une seule contradiction ». Cette écriture quotidienne devient une raison de persévérer dans son être, de renouer les fils et de conférer un sens à sa « vie ratée ». Le Journal, qui scande les anniversaires, se situe au cœur du temps, au sens proustien, le temps qui fuit et que l’écriture tente d’enregistrer : « En relisant les cahiers du passé, je comprends toutes les routes abandonnées de mon enfance et, surtout, par quoi on passe pour devenir ce que l’on est. »
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Écrit par
- Christine GENIN : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France
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