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MISHIMA YUKIO (1925-1970)

Brillant mondain et travailleur solitaire acharné, opportuniste et totalement anachronique, imbibé de valeurs occidentales et prônant les vertus japonaises les plus traditionnelles, épris des mots et cultivant ses muscles, hanté par la mort et amoureux de la vie, Mishima est un personnage multiple, paradoxal, dont l'œuvre, la vie, la mort peuvent irriter ou fasciner, mais laissent rarement indifférent. Refusant le statut d'intellectuel, il a tenté de mener sa quête sur tous les plans à la fois, le roman, le théâtre, le sport, l'action. L'unité souhaitée n'a cessé de se dérober devant lui, et l'impossible combat avec ses propres contradictions l'a conduit à construire sciemment sa mort.

Le désir et l'obstacle

Confession d'un masque, écrit en 1949 par un jeune homme de vingt-quatre ans, révéla brusquement au public le génie précoce de l'écrivain. Cette pseudo-autobiographie, d'une perspicacité à la fois impitoyable et poétique, est peut-être le chef-d'œuvre de Mishima mais à coup sûr la clé qui ouvre l'ensemble de son œuvre. Les images traumatisantes de ses premières années, le vidangeur, les princes assassinés et saint Sébastien supplicié, semblent avoir fixé indélébilement les attributs du corps désiré : celui d'un bel adolescent voué à une mort tragique. Érotisme et mort, jeunesse et beauté fusionnent dès l'aube de sa vie. Et l'imaginaire sévit d'autant plus violemment que l'enfant, séquestré quarante-neuf jours après sa naissance jusqu'à l'âge de onze ans par une grand-mère malade, un peu hystérique et nostalgique de la classe des samouraï dont elle était issue, vit confiné dans une chambre sombre, silencieuse, qui exclut le monde extérieur, ou du moins le transforme en mirage inaccessible. Très vite, au Collège des Pairs où il fera toute sa scolarité, Mishima se découvre différent de ses camarades et cerne peu à peu l'origine de cette différence : ses tendances homosexuelles. C'est l'impasse car ces désirs que condamne le code social lui apparaissent comme un monstrueux péché et, de plus, ils ne peuvent se satisfaire puisque son narcissisme lui impose d'être aussi désirable que le partenaire ; or il n'est qu'un petit intellectuel malingre et maladif. En ces années de sursis avant le grand cataclysme final qu'attend le peuple japonais, il se forge, au prix d'une épuisante tension de la volonté, un masque de normalité, et s'adonne dans la solitude au « théâtre du meurtre », mise en scène fantasmatique de beaux corps torturés et mourants. Le retour de la paix le laisse hébété et exclu du présent.

Ce que ne dit pas cette autobiographie obsédée par le problème sexuel, c'est que, dès l'âge de quinze ans, Mishima, de son vrai nom Hiraoka Kimitake, était un écrivain. En 1941, à seize ans, il publie dans une revue littéraire son roman Le Bois du plein de la fleur, que ses tendances passéistes, le culte de la beauté et de la mort apparentent à l'école romantique, agréée par le pouvoir militariste. Le pseudonyme Mishima Yukio date de cette époque. Mishima lit également beaucoup, bien plus que ses condisciples davantage intéressés que lui par l'actualité politique ; ses goûts le portent vers la littérature classique japonaise mais aussi vers Tanizaki, O. Wilde, Cocteau, Radiguet dont le génie précoce et la mort à vingt ans le fascinent. En octobre 1944, premier incontesté de sa classe, il quitte le Collège des Pairs et reçoit des mains de l'empereur une montre en argent. Se soumettant à la volonté de son père, fonctionnaire de l'État et violemment hostile à une carrière littéraire pour son fils (la mère, elle, restera toujours son alliée et sa conseillère), il s'inscrit au département de droit allemand de l'université impériale de Tōkyō. Lorsqu'en février 1945 arrive[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, agrégée de lettres classiques, docteur de troisième cycle, maître de conférences de littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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