MISHIMA YUKIO (1925-1970)
L'horizon de la tragédie
En 1950 paraît Une soif d'amour, court roman où passion, violence et poésie s'allient admirablement. L'influence de Mauriac y est évidente. En 1951, il publie Couleurs interdites, dont le protagoniste, beau jeune homme-objet, se mire dans le désir qu'il inspire à ses partenaires jeunes ou vieux, hommes ou femmes, au gré des lieux de plaisir du Tōkyō de l'après-guerre.
Le jour de Noël 1951, Mishima s'embarque à Yokohama pour son premier tour du monde : New York, Rio de Janeiro, Paris, la Grèce. Celle-ci surtout le comble de joie ; il s'y était préparé par la lecture assidue, sur les traces de Radiguet, des classiques français et des tragiques grecs. Reniant sa prédilection pour la nuit et la mort, il découvre sa vocation solaire et classique, et puise, dans l'équilibre entre l'esprit et le corps dont témoigne la Grèce ancienne, la volonté de rendre son propre corps sain et vigoureux.
De retour au Japon, il écrit en 1953 Le Tumulte des flots, inspiré par Daphnis et Chloé. Cette idylle amoureuse, si étrangère dans sa sensualité délicate et heureuse aux obsessions de Mishima, connut un grand succès. Et les essais critiques qu'il écrit vers la même époque postulent pour le roman une construction dérivée de la tragédie classique : structure vigoureuse, enchaînement logique des péripéties, accélération du rythme vers la catastrophe finale. Ces critères tout à fait occidentaux ne seront jamais reniés par Mishima et expliquent peut-être la facile réception de son œuvre en Occident.
Parallèlement à sa production romanesque, Mishima écrit pour le théâtre car le séduisent tant les règles strictes de l'écriture théâtrale que l'incarnation des personnages, offerts au regard du public. Cinq Nōs modernes, écrits de 1950 à 1955, donnent un regain de vie au nō tombé en désuétude, et renouvellent les résonances de la fable antique, parfaitement identifiable par sa transposition dans des milieux sociaux ultramodernes. Jusqu'en 1968, Mishima écrira en alternance romans et pièces de théâtre.
Le Pavillon d'or, publié en 1956, connut un immense succès au Japon, puis à l'étranger. Ce roman, inspiré par un fait divers récent, reconstitue les mobiles qui ont poussé un jeune novice à incendier le temple du Pavillon d'or, à Kyōto. La somptueuse virtuosité de l'analyse psychologique, qui épouse les méandres de la relation passionnelle entre le novice et le temple, objet de beauté, et l'inéluctable transformation de l'amour en haine, l'extraordinaire aptitude de Mishima à percevoir et à traduire en mots les avatars de la contemplation donnent à ce livre, très influencé par T. Mann, une dimension philosophique que n'avait pas jusqu'alors l'œuvre de Mishima.
Pour se conformer aux usages japonais et rassurer sa mère qui se croyait atteinte d'un cancer, Mishima épouse, en juin 1958, Sugiyama Yōko dont il aura deux enfants. Les années qui suivent témoignent d'une activité frénétique, quoique rigoureusement planifiée, dont les manifestations déroutent ou irritent le public. Car le sentiment d'exclusion vécu depuis l'enfance semble se muer peu à peu en un désir contradictoire de défier la société et d'être à tout prix reconnu par elle. Après l'échec, en 1959, de La Maison de Kyōko, long roman dans lequel il avait projeté toute sa vision du monde répartie sur quatre personnages, Mishima doit affronter le procès en diffamation suscité par la publication, en 1960, de Après le banquet, roman très agréable à lire mais qui cernait de trop près la vie privée d'un politicien connu. Parallèlement, il commence une carrière au cinéma et sur la scène du kabuki, poursuit farouchement la reconstruction de son corps par l'entraînement au kendo et à la boxe, et, dans la logique de son narcissisme,[...]
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Écrit par
- Annie CECCHI : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, agrégée de lettres classiques, docteur de troisième cycle, maître de conférences de littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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