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MISSAK (D. Daeninckx) Fiche de lecture

Il y a la légende Manouchian, l'épopée des FTP-MOI (main-d'œuvre immigrée), le mythe, celui de l'Affiche rouge placardée par l'occupant sur les murs de Paris (« Des Libérateurs ? La Libération par l'armée du crime ! »), le martyre de ces immigrés arméniens, hongrois, polonais fusillés en février 1944, le poème d'Aragon, Strophes pour se souvenir (« Un grand soleil d'hiver éclaire la colline/ que la nature est belle et que le cœur me fend/ La justice viendra sur nos pas triomphants/ Ma Mélinée, ô mon amour, mon orpheline… »), et son adaptation un peu plus tard sous forme de chanson par Léo Ferré. Et il y a la réalité, plus complexe mais non dépourvue de panache elle aussi. C'est cette dernière qu'explore Missak (Perrin, 2009), l'enquête-roman de Didier Daeninckx qui s'est fait connaître du grand public en 1984 avec Meurtres pour mémoire. L'histoire lui a souvent inspiré des récits tels que Le Der des ders, La mort n'oublie personne ou Cannibale.

Missak nous replonge dans l'année 1955, l'année du poème d'Aragon justement (« Onze ans déjà, que ça passe vite, onze ans... »). Un journaliste de L'Humanité, Louis Dragère, à la demande de la direction du PCF, revisite la vie du chef des détachements FTP-MOI parisiens alors qu'on va inaugurer à Paris une rue dédiée à son « groupe ». Ses investigations serrées vont le conduire à reconstituer les différentes étapes du périple de Manouchian, depuis ses origines familiales du côté de l'empire ottoman, le génocide arménien, l'exode, le séjour à Beyrouth, jusqu'à l'arrivée en France. Voici bientôt le Manouchian ouvrier et artiste, militant et grand dévoreur de livres, poète, traducteur de Baudelaire, de Verlaine et de Rimbaud pour des revues de la communauté arménienne ; voici les familiers, les amis (un très beau chapitre sur Charles Aznavour, à qui Manouchian apprend les échecs). S'invitent dans ce récit des personnages tels que Jacques Duclos, Louis Aragon, rencontré dans son moulin de Saint-Arnoult-en-Yvelines. Charles Tillon, visité dans son minuscule village des Basses-Alpes : acteur et témoin clé de la Résistance, l'homme a été mis à l'écart de la direction communiste ; sans oublier Henri Krasucki, personnage essentiel à mesure qu'on approche du dénouement. On connaît bien l'ancien responsable de la CGT, on sait moins qu'il dirigea sous l'Occupation un bataillon de jeunes résistants juifs parisiens avant d'être arrêté et déporté à Birkenau. Sont évoquées les actions militaires de Manouchian et des siens, une trentaine à Paris dont la plus retentissante fut l'exécution du général Julius Ritter, un proche de Hitler, puis la traque et l'arrestation du groupe. On prend la mesure, ici, de la terrible ténacité de la police politique française, les brigades spéciales des Renseignements généraux, engagées dans la chasse aux communistes et aux résistants, comme le montrent les rapports de filature cités dans un des chapitres. En même temps, on mesure l'ambivalence de certains policiers, comme Pierre Piget, à la fois prédateur et sauveteur puisqu'il alerte en 1943 des jeunes juifs de Belleville contre les risques d'une rafle à laquelle il participera…

Didier Daeninckx, une nouvelle fois, manifeste ici sa parfaite maîtrise de l'Histoire. Le livre est nourri d'archives inédites qui resituent bien le personnage de Manouchian et révèlent des acteurs étonnants comme cet ancien responsable de l'Arménie soviétique, Armenak Manoukian, proche de l'entourage de Trotski, dissident précoce et intime de Missak… Ce travail sur les archives permet également à l'auteur de démonter le mécanisme de la trahison qui décapitera ce groupe. On voit bien comment la chute[...]

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