MITHRAÏSME
Le sacrifice du taureau
La tauroctonie est au premier plan de cette bible en images que constituent les bas-reliefs mithriaques, comme au centre de la liturgie commémorative des banquets sacrés. Mithra poursuit le taureau, s'agrippe à lui, le garrotte, le traîne par les pattes de derrière jusqu'à un antre où l'animal est frappé au cœur par l'épaule gauche. Plusieurs représentations montrent Mithra chevauchant le taureau. C'est l'histoire d'une capture, qui rappelle certains travaux d'Héraclès. Quelle en est la signification ?
Le taureau est souvent figuré dans une sorte de barque ou de croissant lunaire. L'épithète avestique gaučiθra qualifie la lune comme « renfermant la semence du taureau », et l'on sait par le néo-platonicien Porphyre que l'astre passait pour être source de vie, réservoir des âmes. En domptant et immolant le taureau, Mithra force les âmes à s'incarner ou du moins à animer le monde matériel. Aussi Porphyre l'identifie-t-il avec le démiurge. Sur les reliefs, on voit un serpent et un chien sucer le sang jailli de la blessure, tandis qu'un scorpion pince les parties génitales du taureau ; un bouquet d'épis sort parfois de la plaie ou de la queue. Mais, sept siècles plus tard, le Bundahisn enseigne qu'Ahriman, l'esprit du mal, tua le taureau primordial ; de sa moelle est issue la végétation, et de son sperme recueilli dans la lune procèdent les espèces animales.
On a supposé que le mythe de Mithra tauroctone transcrivait la version originelle ; les zoroastriens auraient postérieurement imputé à Ahriman la responsabilité d'un sacrifice sanglant qu'ils condamnaient par principe. H. Lommel a voulu reconnaître une préfiguration védique de la tauroctonie dans le meurtre de Soma auquel participe Mitra ; mais Soma, dieu de la pluie fécondante qui tombe de la lune, n'est pas un taureau et dans ce mythe indien Mitra n'est qu'un complice, d'ailleurs hésitant. On est revenu en définitive à l'interprétation de F. Cumont : la mort du taureau est primitivement le fait d'Ahriman, mais on l'a secondairement attribuée à Mithra parce que le dieu passait déjà dans Yast X pour faire croître la vie et la prospérité. Dans le mithraeum de Santa Prisca on célébrait la tauroctonie comme un acte de salut : Et nos seruasti eternali sanguine fuso. Le scorpion, animal d'Ahriman, pince les parties du taureau pour vicier la vie à sa source ; mais, en répandant le « sang éternel » de l'animal dont la mort fait vivre les êtres, Mithra sauve la création d'Ahura Mazda. La figuration du zodiaque au-dessus ou autour de la tauroctonie confère au sacrifice une grandeur cosmique. Il représente la victoire de la vie sur les forces du mal.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Robert TURCAN : ancien membre de l'École française de Rome, professeur à l'université de Lyon-III
Classification
Médias
Autres références
-
CORRIDA
- Écrit par Barnaby CONRAD
- 10 675 mots
- 7 médias
...le concurrent majeur de l'Église chrétienne naissante était Mithra, dieu païen d'origine perse dont le culte s'était répandu dans tout l'Empire romain. La principale cérémonie liée au culte mithriaque était le sacrifice d'un taureau, rappelant celui que Mithra aurait égorgé selon le mythe, exploit dépeint... -
GAULE
- Écrit par Jean-Paul DEMOULE et Jean-Jacques HATT
- 26 438 mots
- 4 médias
Si le culte de Cybèle a recruté surtout des adeptes dans les villes, dans la région du Rhône et en Aquitaine, le culte de Mithra a été apporté en Rhénanie par les militaires principalement par les légionnaires venus des Balkans et d'Orient. Il est représenté en Germanie par un nombre assez important... -
MITRA
- Écrit par Jean VARENNE
- 340 mots
Au sommet de la hiérarchie divine, le Veda, dans ses parties les plus archaïques (début du ~ IIe millénaire), plaçait l'Asura Varuṇa, à qui était attribué un coadjuteur en la personne du dieu Mitra. La situation était alors conforme au schéma indo-européen mis en évidence par...