MITHRIDATE (mise en scène É. Vigner)
Directeur artistique du Théâtre Saint-Louis à Pau, Éric Vigner avait monté Bajazet(1672)à la Comédie-Française en 1995. En 2021, il met en scène Mithridate (1673)au Théâtre national de Strasbourg. Ces deux pièces « orientales » de Racine sont réputées d’un abord difficile. Éric Vigner y retrouve une résonance géopolitique contemporaine.
Racine accomplit son chemin tragique en évoquant les derniers moments d’un des plus grands souverains de l’Antiquité, Mithridate VI Eupator, roi du Pont, un territoire qui englobait l’actuelle Turquie, la Crimée et des régions du bord de la mer Noire. Au terme de trois guerres que mena contre lui la République romaine et, trahi par son fils Pharnace, il fut contraint au suicide.
Une tragédie des aveux
À cette « tragédie romaine », Racine ajoute la dimension – essentielle – de l’amour. Au début de la pièce, ressort récurrent de la dramaturgie classique, la rumeur de la mort du roi Mithridate aura un effet décisif sur tous les personnages : Xipharès, son fils bien-aimé, et Monime, la promise de Mithridate, vont s’avouer leur amour mutuel. Quant à Pharnace, il poursuivra Monime de ses assiduités et trahira son père en faisant alliance avec les Romains.
L’architecture de la pièce témoigne d’un souci d’équilibre : l’acte I et l’acte V sont d’une parfaite symétrie – d’un côté, la fausse mort du roi, et de l’autre sa mort réelle. Dans cet entre-deux, la rêverie épique du conquérant, grâce à l’art de l’éloquence, prolonge une vie de gloire et de conquêtes : elle occupe le cœur de la pièce. De part et d’autre de cette grande scène se répartissent les aveux. Car Mithridate est bien, avant Phèdre (1677), la première tragédie des aveux : d’un côté, les aveux spontanés, mais décalés, des amants parfaits – ceux de Xipharès à son confident et à son amante Monime, puis ceux de celle-ci à Xipharès ; de l’autre, l’aveu de cet amour secret arraché à Monime par la ruse de Mithridate.
Dès les premières scènes, alors qu’on croit le roi mort, les amants ont sous-estimé la duplicité de Pharnace. À l’acte II, une fois revenu au palais, Mithridate, qui soupçonne celui-ci de conspirer contre lui, annonce qu’il va épouser Monime, laquelle renonce à Xipharès mais avoue l’aimer. À l’acte III, le piège se referme : lorsque son alliance secrète avec les Romains est démasquée, Pharnace divulgue au roi l’amour qui lie Xipharès et Monime. Mithridate ruse pour faire avouer la jeune femme, mais Xipharès pressent le piège et conseille à Monime d’accepter la main de Mithridate. Celle-ci, reprochant au roi de l’avoir trompée, le rejette. Mithridate hésite : faut-il tuer Pharnace, Xipharès et Monime, ou sauver les amants ? Au cours de la bataille confuse qui l’oppose aux Romains et à Pharnace aux abords du palais, Mithridate ordonne la mort de Monime, puis se ravise. Revenu mourir au palais, il finit par unir Xipharès, qui a combattu à ses côtés, et Monime.
Racine s’applique à « faire quelque chose de rien » (Préface à Bérénice). Tout au long de la pièce et, même si un destin fatal s’accomplit, tout reste possible dramatiquement pour les personnages qui hésitent, se repentent, se reprennent, depuis une situation pathétique bloquée, jusqu’à l’aveu, l’affrontement, puis le désarroi et l’attente de la mort.
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Écrit par
- Véronique HOTTE : critique de théâtre
Classification
Média