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MITHRIDATE (mise en scène É. Vigner)

Un rêve d’Orient

À la fois ciselée et majestueuse, la scénographie d’Éric Vigner n’en privilégie pas moins l’incarnation – le battement des cœurs –, en montrant des corps exposés au danger et au jeu de leurs âmes miroitantes. Proies et bourreaux, les voici jetés dans l’arène brûlante des passions. Mithridate commenceet s’achève dans la nuit – bougies et flammes –, un espace familier au royaume des morts. Côté jardin, un dagobert, ancien fauteuil curule en bois sculpté ; côté cour, un globe terrestre imprimé en bois, papier et laiton, des accessoires installés sur une scène sombre. Deux symboles forts ornent encore l’espace vide : une colonne inspirée de Brancusi, totem géant, guerrier et sculptural se dressant dans le ciel ; et, à l’avant du plateau, gisant d’abord à terre, un rideau qui s’élève lentement pour se déployer, se mouvant et se retournant comme une voile dans une transparence lumineuse de perles de verre bleues. Dans cette scénographie-installation, le son et la musique sont de John Kaced, les lumières évocatrices de Kelig Le Bars, les costumes d’Anne-Céline Hardouin.

Ce paysage intérieur à la fois sauvage et policé sied à Mithridate, héros terrifiant et ambigu qu’habitent tour à tour la haine des Romains, le courage, la nostalgie de la gloire passée, la dissimulation et une jalousie meurtrière. Il est interprété par Stanislas Nordey, qui égrène gravement les alexandrins dans une tension où perce l’inquiétante étrangeté. Héroïque et galant, sincère et fidèle, Xipharès est un jeune prince décidé que Thomas Jolly incarne avec vivacité et retenue. La poésie racinienne – harmonie de la scansion ou rythmique brisée – est dite dans un murmure distinct de voix claires – comme pour soi-même – pour mieux atteindre le public. Les voix se changent parfois en cris et en hurlements, puis se posent à nouveau. Racine fait chatoyer cet amour de la langue. Plaisir des aveux que des mots subtils et sinueux cachent et dévoilent en même temps – un jeu où l’on se risque à aller toujours plus loin. Quant à Monime, amoureuse tragique, emplie de douleur mais aussi de retenue, son rôle est interprété par une comédienne fidèle à Éric Vigner, Jutta Johanna Weiss. Avec lenteur et patience, l’actrice manifeste le trouble, la colère, le refus de la soumission et le désespoir. Ombre vivante, elle dessine ses mouvements, sculpte la station verticale d’un bras, jouant d’une manche ouverte en éventail et faisant danser ses atours. En s’inspirant de la figure traditionnelle japonaise de l’onnagata, acteur masculin qui chorégraphie les postures expressives de la femme, elle souligne la dimension orientalisante de la mise en scène.

Le dénouement inattendu de Mithridate, œuvre de mélancolie, magnifiel’échec du héros, tout en lui donnant à l’instant fatal l’aura poétique d’une humilité existentielle.

— Véronique HOTTE

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<em>Mithridate, </em>de Racine, mise en scène d’Éric Vigner - crédits : Jean-Louis Fernandez/ Théâtre National de Strasbourg

Mithridate, de Racine, mise en scène d’Éric Vigner