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MITTELEUROPA

L'identité littéraire de l'Europe centrale

L'Europe centrale du xxe siècle apparaît comme cette autre Europe dont l'identité aura d'abord été définie par la littérature. Dans cette aire multiculturelle, la « république des lettres » a longtemps été au cœur de la res publica. La première configuration de l'identité culturelle de l'Europe centrale apparaît à l'époque où la Renaissance et le baroque se répandent à l'époque moderne en Mitteleuropa à travers les cours de Vienne, de Prague, de Cracovie et d'Ofen (en Hongrie), qui entretenaient, surtout depuis le xve siècle, des liens étroits avec l'Italie. Cette Renaissance « retardée » fusionne avec l'art et l'esprit baroques et marque très profondément et très durablement toute la région centre-européenne.

Un autre facteur déterminant de la constitution d'une république des lettres en Europe médiane aura été la réaction à l'invasion et à la menace des Ottomans. Le poète humaniste se doit d'appeler alors à la défense contre le péril ottoman. C'est dans cet esprit que Conrad Celtis a fondé autour de 1500 la société Sodalitas litteraria Danubiana qui réunissait des humanistes allemands, hongrois, slaves, bohémiens et valaques.

Troisième moment déterminant de l'histoire culturelle de l'Europe médiane : la Réforme et la Contre-Réforme. En Allemagne du nord et du centre, un nouveau système culturel se forme, en rupture avec l'Europe centrale latine et italienne. La Réforme va susciter en Europe centrale le premier grand mouvement de prise de conscience des cultures nationales et de valorisation des langues populaires, par exemple chez les Tchèques ou chez les Slovènes. À l'opposé, la Contre-Réforme érige le style baroque en style officiel, et il faudra attendre deux siècles pour que, à la fin du xviiie siècle, les initiatives de Joseph II réalisent une première synthèse des Lumières allemandes et du Baroque centre-européen, tout en cherchant à imposer l'allemand, après le latin, l'italien et le français, comme la lingua franca de la Mitteleuropa, ce qui lancera par réaction le mouvement inexorable des nationalités contre la germanisation.

Herder et l'identité nationale

La production du national, par la philologie qui exalte les traditions littéraires orales et écrites, et par la linguistique qui codifie le mode d'écriture, la grammaire, le vocabulaire, correspond à un modèle allemand que l'on pourrait appeler « herdérien ». La diffusion du système théorique de Johann Gottfried Herder parmi les peuples d'Europe centrale apparaît comme une des étapes essentielles de la formation d'une Mitteleuropa culturelle. Les intellectuels hongrois, roumains, polonais, tchèques, serbes, croates, slovènes, etc. forgent au contact des textes de Herder la conviction qu'il n'y a pas d'amour de la patrie sans amour de la langue maternelle et que le poète populaire et le poeta doctus sont les vrais pères de la nation, bien plus que les princes et les têtes couronnées, qui se moquent des frontières linguistiques et des aires culturelles, leur préférant les territoires dynastiques. Ces intellectuels et ces écrivains fondateurs ou redécouvreurs de l'identité nationale commenceront par citer et par commenter Herder en allemand avant de défendre et d'illustrer leur propre langue et de construire leur res publica autour de son propre Parnasse littéraire.

Qu'est-ce que la littérature ? À cette question qu'il ne se posait pas, parce que la chose allait de soi, Herder eût sans doute répondu que la littérature, c'est d'abord la langue, donc le peuple, toute la production poétique orale de cette langue et de ce peuple, mais aussi toute la production écrite, la littérature au sens habituel du mot, ainsi que les doctrines[...]

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