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MIYAZAWA KENJI (1896-1933)

Une vie toute faite de sacrifices, dont il passe la plus grande partie dans les terres désolées du nord de Honshū ; des contes pour enfants ; un poème rédigé à la veille de sa mort, qui figure en tête de nombreux manuels d'école primaire. Les quelques images qui subsistent de Miyazawa Kenji sont bien banales et évoquent ces « saints laïcs » dont le culte se répandit en maint pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il n'en est rien.

Les contes (qui connurent un vif succès aussitôt après sa mort) ne révèlent nulle intention moralisatrice. Il en fait paraître un volume à frais d'auteur, en 1924 : Un restaurant très couru (Chūmon no ōi ryōriten), mais peu lui importe de les publier. Le responsable d'une revue enfantine, dit-on, avait refusé quelques manuscrits car il n'y découvrait aucune valeur éducative ; il y trouvait trop de formes dialectales et de termes incompréhensibles. Sans doute ce langage était-il trop libre, trop généreux. Chaque page est une fête de l'invention verbale. La région déshéritée où il a vécu est décrite avec acuité, mais sans souci de réalisme, sans tristesse. Les onomatopées foisonnent. Les mots d'origine occidentale, qui abondent dans les textes de l'époque et s'en détachent comme des corps étrangers, se fondent ici dans la phrase, plus nombreux que jamais, avec des sonorités déformées qui se perdent dans les éclats de rire.

Issu d'une famille aisée, installée dans la petite ville de Hanamaki, il a décidé de se mettre au service des paysans. Il exerce des activités multiples, tour à tour chercheur, enseignant, paysan, technicien. Il connaît de longues périodes de maladie et de convalescence : vie trop pleine, vite achevée. Il a été attiré dès l'adolescence par la spiritualité bouddhique, mais se rend volontiers à la capitale, s'enthousiasme pour le cinéma et le théâtre, apprend seul à jouer de plusieurs instruments (orgue, violoncelle). Il entend modifier d'abord les conditions de travail, mais à la fin de la journée constitue un orchestre, une troupe de comédiens, et rêve d'inventer d'autres rapports humains. Il veut confondre la rigueur scientifique et sa foi, la foi et la liberté de l'art. Il jette sur le papier des « thèses pour un art paysan » : il entrevoit la possibilité de créer un art spécifique qui s'identifierait à la vie paysanne.

Ses poèmes sont moins connus. Seul fut publié de son vivant, toujours à ses frais, un recueil, Le Printemps et les esprits combattants (Haru to shura, 1924). Sans doute sont-ils plus difficiles d'accès. En un flot continu viennent s'y joindre les mots du vocabulaire scientifique et de la tradition bouddhique, les formes du langage parlé et les néologismes. Ils sont uniques dans l'histoire, pourtant riche, de la poésie japonaise moderne et n'ont point perdu de leur force. Par ses luttes et par ses prises de position, Miyazawa Kenji occupe une place importante, certes, dans l'histoire intellectuelle de ce pays. Mais il faut juger ses œuvres selon des critères propres à la littérature, sur la richesse et la puissance de l'invention.

— Jean-Jacques ORIGAS

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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