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MIZOGUCHI KENJI (1898-1956)

De son extrême jeunesse à l'année même de sa mort, Mizoguchi Kenji vivra par et pour le cinéma, au milieu des acteurs, se forgeant, à travers une œuvre à la fois continue – pas d'année sans film – et féconde (plus de quatre-vingt-dix films recensés), sa propre culture littéraire, picturale, technique. D'une grande étendue, souvent d'un exquis raffinement, c'est une culture d'autodidacte, sans aucune référence universitaire.

De là, peut-être, le naturel de la démarche cinématographique de Mizoguchi, son absence de raideur. Cette élégance de funambule, cette robustesse jointe à la fragilité, c'est tout le Japon, l'ancien Japon d'Edo et celui d'aujourd'hui. Une fois de plus en art, c'est par la plus extrême singularité individuelle, par l'acceptation de ses limites culturelles, par l'affirmation d'une irréductible spécificité que l'artiste atteint à l'universel.

Le naturel et le concret

Du petit peuple de Tōkyō, qu'il peint dans ses gendai-geki (sujets modernes), Mizoguchi a la vivacité, l'insouciance, le goût des choses concrètes. Encore que l'on préfère parfois – le charme de l'exotisme entre pour une part dans ce jugement – ses jidai-geki (sujets historiques). Dans L'Impératrice Yang Kouei-fei (1955) comme dans Rue de la honte (1956), le réalisme quotidien et la contemporanéité sont sous-jacents à tout l'univers de Mizoguchi. Sans faire, au contraire de ses pairs Ozu Yasujiro et Naruse Mikio, du déroulement monotone des joies et des peines dans l'existence de gens moyens la source d'inspiration majeure de ses films, il excelle pourtant lui aussi dans la peinture minutieuse et intimiste, et ce n'est pas un hasard s'il se reconnaissait pour maître, avec Dostoïevski, Maupassant dont l'influence est visible par exemple dans Les Sœurs de Gion (1936).

Malgré la résistance passive qu'il opposa au gouvernement militariste durant les années de fascisme puis de guerre, Mizoguchi n'est pas un militant. C'est un choix premier, presque instinctif, et non l'engagement politique qui explique le caractère social de l'œuvre, si sensible dans Et pourtant ils s'avancent (1931) et dans Femmes de la nuit (1948). Mizoguchi n'a rien d'un intellectuel qui décide d'aller au peuple, il est plutôt un homme du peuple que son génie d'artisan a consacré artiste.

<it>Les Contes de la lune vague après la pluie</it>, Mizoguchi K. - crédits : Everett Collection / Bridgeman Images

Les Contes de la lune vague après la pluie, Mizoguchi K.

Son réalisme repose en effet sur une connaissance concrète et artisanale de la réalité, qu'il s'agisse des hommes ou des objets (il passait un temps infini, comme Stroheim à qui il s'apparente par plus d'un trait, à déterminer la nature ou la qualité exactes d'un fragment de décor, d'un accessoire). Ce réalisme n'est pas sans violence, lorsque celle-ci est nécessaire – dans L'Intendant Sanshō (1954) notamment –, mais il s'agit toujours d'une violence en quelque sorte naturelle, sans la moindre exagération rhétorique, sans emphase dramatique. Sobriété dans la violence, sobriété dans l'expression du sentiment constituent, contrairement à une idée trop souvent répandue en Occident (l'« impassibilité » des acteurs japonais) une des originalités les plus notables de son style, lorsqu'on le compare à celui de Kurosawa, Kinugasa et des modernes : Oshima, Yoshida. Le réalisme, ou plutôt le naturel de Mizoguchi, apparaîtra encore plus singulier si l'on se réfère à la part la plus connue de son œuvre, aux admirables jidai-geki de la fin : La Vie d'O'Haru, femme galante (1952), Les Contes de la lune vague après la pluie(1953), Les Amants crucifiés (1954). Les cinéastes japonais qui mettent en scène des sujets traditionnels, même lorsqu'ils prennent des libertés avec le thème fourni par l'histoire ou par la légende, parviennent rarement à dégager[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres, maître assistant à l'université de Paris-X-Nanterre

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<it>Les Contes de la lune vague après la pluie</it>, Mizoguchi K. - crédits : Everett Collection / Bridgeman Images

Les Contes de la lune vague après la pluie, Mizoguchi K.

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