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MOBILE, Michel Butor Fiche de lecture

Du lisible au scriptible

Quelques mois après sa parution, Roland Barthes écrivait sur Mobile un article qui commençait par ces mots : « Derrière tout refus de la critique régulière à l'égard d'un livre, il faut chercher ce qui a été blessé. » Les blessures, de fait, sont ici multiples. Inclassable, récusant toute appartenance générique, le livre ressortit simultanément à la poésie, au récit de voyage, à l'autobiographie, au dictionnaire, au catalogue, au guide touristique, à l'ouvrage critique, au livre d'histoire, etc. Plus grave : enfreignant un tabou ancien que seule la poésie avait osé transgresser, Butor traite le support littéraire (la page, le volume) non comme un espace neutre et discrètement accueillant, mais comme un matériau à part entière, propre à tisser avec le texte toutes sortes de relations fécondes. Plus sérieusement encore : c'est la conception même de l'œuvre comme création originale qui se trouve mise à mal, le texte se réduisant, pour l'essentiel, à un montage de listes, d'extraits de catalogues et de citations, distribués selon une architecture extrêmement précise et rigoureuse, laquelle suppose l'installation d'un dispositif initial capable de produire du texte, selon une logique d'expansion quasi machinique (« J'ai procédé un peu comme une calculatrice électronique »). Enfin, à l'exigence classique d'unité et de continuité se substitue le principe de la fragmentation systématique – du flux narratif, de la cohérence syntaxique, de l'uniformité typographique –, l'œil et l'esprit du lecteur se trouvant du même coup contraints à un perpétuel déplacement. Dès lors, ce n'est plus à une œuvre close et achevée que nous avons affaire, mais à un work in progress réclamant moins une lecture, en somme, qu'une écriture. Et c'est là peut-être que réside le véritable coup de force de Butor : dans l'obligation faite au lecteur de construire lui-même son propre parcours (du livre comme du territoire), bref, de se faire, à son tour, écrivain. Cette expérience polyphonique se poursuivra, notamment, avec Ou (1971) et Boomerang (1978).

— Guy BELZANE

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Média

Michel Butor - crédits : Ulf Andersen/ Aurimages

Michel Butor