MOBILISATION DES RESSOURCES
Critiques et extension du paradigme de la mobilisation des ressources
L’approche entrepreneuriale de la mobilisation des ressources a d’abord été contestée par des chercheurs pour lesquels l’organisation, au contraire d’être une condition sine qua nonde toute mobilisation, contribue à tirer les mécontents de la rue aux salles de réunion. Pour Frances Piven et Richard Cloward, qui reprennent à leur compte les analyses classiques sur « la loi d’airain de l’oligarchie », formulées par Roberto Michels dans son ouvrage Les Partis politiques (1914), les organisations bureaucratisées et professionnalisées confisquent à leur profit la seule arme des groupes dominés, la force du nombre et sa capacité à subvertir l’ordre établi par le défi de masse. Si la critique ne manque pas de pertinence, elle est demeurée isolée face au développement des études de cas démontrant l’importance des structures organisationnelles dans l’émergence des causes, à commencer par le mouvement des droits civiques dont le développement semble devoir beaucoup au soutien des Églises protestantes noires.
Mais c’est surtout la notion de ressources qui a concentré le feu des critiques. Même dans ses premières définitions, qui s’en tiennent à mentionner le temps et l’argent, l’analyse manque singulièrement de subtilité, oubliant notamment de préciser que les ressources observables post hoc – c’est-à-dire par le chercheur étudiant une mobilisation qui a déjà pris – peuvent aussi avoir été produites dans le cours même de l’action. Autrement dit, les organisations ne font pas qu’apporter des ressources utiles à l’émergence d’une cause, elles peuvent également en capter, en créer de nouvelles et bien sûr en perdre au cours de la lutte. Dans cette perspective, la distinction entre ressources d’un côté et coûts ou menaces de l’autre est par trop fixiste dans la mesure où ce qui est considéré à un moment donné comme un obstacle à la mobilisation peut se voir convertir en ressource au terme d’un travail politique de cadrage et de conversion du regard. Ce dernier point souligne enfin que les ressources n’existent pas indépendamment des cadres de perception qui les font exister en tant que telles. Autrement dit, elles doivent être subjectivement pensées comme ressources pour se transmuter en avantage tactique. Ce qui nous ramène au travail politique ou, si l’on préfère, aux activités de propagande ou de cadrage des luttes.
Un autre ensemble de critiques a porté sur la notion de « militants par conscience » dont les auteurs feront tôt remarquer qu’elle ne fait que déplacer le paradoxe d’Olson puisqu’elle laisse en suspens la rationalité instrumentale de l’engagement des soutiens externes. Mais surtout, c’est le caractère mécanique et peu attentif à l’épaisseur sociale des mobilisations qui bouscule le modèle, avec en tout premier lieu l’analyse d’Anthony Oberschall. S’il reste fidèle au principe olsonien de la rationalité de l'action collective et reste convaincu de l'importance de la prise en compte de la structure des risques et des récompenses dans l'explication de l'action, il affine le modèle en élargissant la réflexion sur l’organisation à une diversité de constitutions et de structurations des communautés – comme le village ou l'ethnie –, lesquelles produisent aussi des liens horizontaux et des sentiments de solidarité qui peuvent être activés pour la poursuite de buts collectifs et la formation de groupes de conflit. Cette dimension, dite horizontale, est nécessaire à la mobilisation. Elle fournit à la fois un réseau de communication préétabli, des ressources déjà partiellement mobilisées, la présence d'individus ayant les compétences de leaders et une tradition de participation. À cela s’ajoute une autre dimension, verticale. Plus une communauté sera segmentée[...]
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Écrit par
- Olivier FILLIEULE : professeur de sociologie politique au Centre de recherche sur l'action politique de l'université de Lausanne (Suisse), directeur de recherche au CNRS
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Autres références
-
ACTION COLLECTIVE
- Écrit par Éric LETONTURIER
- 1 466 mots
...initiales. Rompant avec la forte tendance à interpréter l'éclosion de l'action collective sur le mode de l'explosion imprévisible, cette théorie dite de la mobilisation des ressources prend également le contre-pied des thèses défendues par les penseurs de la société de masse : c'est moins la prétendue désintégration...