MOBILITÉ SOCIALE
Mesurer la mobilité sociale
La question de la mobilité sociale est spontanément appliquée aux individus : peuvent-ils se déplacer dans la structure sociale et le font-ils ? dans quelle mesure ? sous l'effet de quelles causes et avec quels effets sociaux ? Cependant, comme le soulignait Sorokin, cette problématique est généralisable aux groupes sociaux qui peuvent se déplacer en tant que tels dans l'espace social, comme on peut l'observer à l'occasion de révolutions ou de changements institutionnels importants. Dans le domaine social et professionnel, la position relative des groupes professionnels évolue : un agriculteur peut connaître une forme de mobilité soit parce qu'il change de métier, soit parce que le statut social du groupe auquel il appartient change globalement sous l'effet des évolutions économiques et des politiques agricoles ; un ouvrier peut chercher à améliorer la situation de sa famille soit en changeant de métier, soit en militant pour l'amélioration de la condition ouvrière. Toujours avec Sorokin, qui parlait alors de « mobilité culturelle », on peut aussi appliquer cette thématique aux éléments non directement humains des sociétés, tels que les objets et les pratiques culturelles, que leur diffusion ne cesse de déplacer dans l'espace social.
Reposant sur une métaphore spatiale, l'analyse de la mobilité sociale renvoie de ce fait à d'autres distinctions devenues classiques depuis Sorokin : elle peut être horizontale, ascendante ou descendante, qu'il s'agisse d'individus, de groupes, ou même d'objets ou de pratiques culturelles. L'accent habituellement mis sur la mobilité ascendante peut faire négliger l'existence de la mobilité descendante, la première ne pouvant augmenter de manière importante sans la contrepartie de la seconde. Cette distinction ne doit pas non plus faire oublier que les parcours de mobilité ne sont pas nécessairement organisés selon des trajectoires simples : des parcours de type oscillatoire s'observent, où des trajets de sens contraires se succèdent et s'annulent ; c'est ce que Roger Girod a appelé « contre-mobilité » (à ne pas confondre avec la mobilité descendante), situation qui peut s'observer d'autant plus que les statuts sociaux sont influencés par des conjonctures ou des accidents variables, comme dans les cas de statuts non cristallisés.
Cette analyse d'un mouvement (ou non), qui rapporte une position ou une destinée à une origine, conduit aussi à des distinctions selon la nature de l'origine retenue. On peut rapporter les individus soit à eux-mêmes à un moment antérieur de leur existence, pour observer par exemple s'ils ont changé de situation professionnelle, en étudiant leur carrière personnelle, soit à un membre d'une génération antérieure (souvent le père), pour situer leur évolution éventuelle par rapport à leur origine familiale. Cette « mobilité intergénérationnelle » est l'objet le plus classique des études sur la mobilité sociale.
La mise en œuvre de ces distinctions et questions pour analyser les résultats d'enquêtes pose des problèmes qui conduisent à d'autres distinctions. L'articulation entre mobilité collective et mobilité individuelle, ou, plus généralement, le constat d'une évolution rapide et importante des structures sociales des sociétés où l'on étudie la mobilité sociale, rend problématique l'interprétation des résultats observés, et, en particulier, leur lecture en termes de flux de mobilité ascendante. Si on estime que le statut d'ouvrier est supérieur ou préférable à celui d'agriculteur, on observe des flux ascendants systématiques dans les sociétés où l'emploi agricole diminue au profit de l'emploi industriel ; de même lorsque celui-ci décroît au profit des services et de statuts professionnels[...]
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Écrit par
- Dominique MERLLIÉ : professeur de sociologie à l'université de Paris-VIII
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