MODALITÉS, logique
Les logiques modales contemporaines
Les fondateurs de la logique contemporaine, au début du xxe siècle – Frege, Russell et leurs successeurs –, ignorèrent la logique modale parce qu'ils entendaient limiter le domaine de la logique à la logique extensionnelle. Le renouveau de la logique modale au xxe siècle vint de l'application à l'étude des notions de nécessité et de possibilité des méthodes axiomatiques de la nouvelle logique. Ce qui distingue essentiellement la logique modale contemporaine de la syllogistique modale est le traitement syntaxique du nécessaire (dénoté « L ») et du possible (dénoté « M ») comme opérateurs sur des propositions (dans le style stoïcien plutôt qu'aristotélicien), permettant l'itération de ces opérateurs (par exemple : « L M p », « il est nécessairement possible que p »), qui permet de définir divers systèmes axiomatiques des modalités. Le fondateur de cette approche syntaxique, C. I. Lewis (1918), cherche à définir la notion d'implication stricte des Anciens ou celle de conséquence (consequentia) des médiévaux : « p implique strictement q » = non M (p et non q), afin notamment d'éviter les « paradoxes » de l'implication matérielle (par exemple : « non p ↦ (p ↦ q) ». Il y a une hiérarchie de systèmes modaux dont le plus simple (qui sera appelé T) comporte les trois axiomes :
(1) L p ↦ p (où « ↦ » dénote le conditionnel « si... alors »),
(2) L (p ↦ q) ↦ (L p ↦ L q),
(3) Si ⊢ A est un théorème, alors L A est un théorème (règle de nécessitation).
D'autres systèmes sont obtenus en ajoutant des axiomes à T. Parmi les plus courants, le système S4 de Lewis provient de l'adjonction aux axiomes de T de :
(4) L p ↦ LL p.
En d'autres termes, dans S4, tout ce qui est en fait nécessaire est nécessairement nécessaire, et tout ce qui est possible en fait pourrait être possible, ce qui est beaucoup plus fort que ce qu'on asserte dans T. On peut aussi soutenir que tout ce qui est possible est nécessairement possible, et que tout ce qui pourrait être nécessaire est en fait nécessaire. Ces principes sont inclus dans le système S5, qui provient de S4 et de l'axiome :
(5) M p ↦ LM p.
Un autre système, dit « de Brouwer » (B), provient de T et de l'axiome :
(6) p ↦ LM p.
Ainsi, B est plus fort que T, S4 plus fort que B, et S5 plus fort que S4, au sens où l'on peut démontrer plus de théorèmes modaux dans chaque membre de la série, et au sens où chacun est une extension du précédent. On pourrait aussi soutenir que, bien que tout ne soit pas en fait possible, tout pourrait être possible, ce qui forme la base des systèmes
S6, S7 et S8 de Lewis.
La diversité des systèmes modaux suggère que les notions modales élémentaires désignent quelque chose d'obscur et que leur sens doit être élucidé si une logique des modalités peut être constituée. D'où l'importance, au-delà de leurs combinaisons axiomatiques, d'une interprétation de ces notions. On peut, tout d'abord, faire de la nécessité un opérateur sur des entités linguistiques – en l'occurrence des phrases. En ce sens, la nécessité est équivalente à la démontrabilité d'une proposition (Lp = ‘p' est prouvable), et est ainsi toujours relative aux règles et axiomes du système dans lequel cette proposition peut être assertée. Mais, selon cette analyse suggérée par Gödel dans les années 1930, on ne peut, en raison de la non-démontrabilité de la non-contradiction de l'arithmétique élémentaire, asserter la loi modale usuelle « Nécessairement (si nécessairement p, alors p) ». Si on écarte cette interprétation « syntaxique », ainsi qu'une autre, initiée par Lukasiewicz dans les années 1920, qui interprète les modalités dans le cadre d'une logique trivalente (où le possible[...]
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Écrit par
- Pascal ENGEL : maître de conférences de philosophie, université de Grenoble-II et C.N.R.S
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