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MODE DE VIE

Des « socio-styles » aux « styles de vie »

À l'inverse, considérant que toute référence aux classes sociales ou aux C.S.P. (catégories socioprofessionnelles) est désormais dépassée et revendiquant un empirisme radical, le C.C.A. (Centre de communication avancée) propose une carte des mentalités et des socio-styles qui se veut une « photographie sans a priori des faits sociaux ». L'entreprise privilégie les indicateurs « de comportements, d'attitudes, d'imagination et de motivations » par rapport aux conditions objectives d'existence. Conçue « comme un instrument de navigation sociale », destiné aux professionnels de la communication et du marketing, cette typologie flexible obtenue par l'analyse des données dans un espace à deux dimensions (stabilité /changement et rigueur /plaisir), proche de la taxinomie spontanée de ses clients, peut être segmentée à l'infini et varie avec l'air du temps. La filiation avec les travaux antérieurs réside dans l'affirmation de la cohérence interne d'ensembles identifiables de pratiques et de représentations, qui fonde la notion de socio-style. La rupture, non seulement avec le marxisme, mais aussi avec la tradition sociologique qui se propose d'expliquer le social par le social, tient dans l'affirmation de l'autonomie des styles de vie par rapport aux conditions d'existence.

La notion de style de vie acquiert, dans l'œuvre de Pierre Bourdieu, en particulier dans La Distinction (1979), la consistance théorique d'un concept soumis à l'épreuve de multiples enquêtes empiriques. Le concept d'habitus permet de résoudre à la fois le problème théorique posé par le passage des structures aux pratiques et les problèmes empiriques de la diversité et de l'unité des modes de vie d'une même classe sociale. De façon générale, les structures de l'habitus, système de schèmes de perception, de pensée, d'appréciation et d'action, sont le produit des structures caractéristiques d'une classe déterminée de conditions d'existence. Chaque habitus réalise une intégration unique, dominée par les premières expériences, des expériences chronologiquement ordonnées qui définissent chaque trajectoire singulière. Mais tout membre de la même classe a des chances plus grandes que n'importe quel membre d'une autre classe de s'être trouvé confronté aux situations les plus fréquentes pour les membres de cette classe. C'est pourquoi tout habitus individuel est une variante structurale d'un habitus de groupe ou de classe. L'habitus est ainsi le principe, plus ou moins durable, d'une harmonisation objective des pratiques d'un agent singulier ou d'une classe d'agents. Il permet de comprendre à la fois la permanence relative, dans le temps et d'un champ à l'autre, des dispositions, des goûts, des préférences d'un agent singulier (le « style personnel ») et la cohérence des pratiques d'une classe d'agents, collectivement orchestrées sans être le produit de l'action organisatrice d'un chef d'orchestre (le « style de vie » comme ensemble cohérent de préférences perçues comme autant de signes distinctifs).

— Gérard MAUGER

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