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MODE, sociologie

La mode dévêtue : travaux empiriques

La mode n'est pas réductible aux changements qui affectent l'habillement ou la parure. En un sens plus général, la notion désigne la transformation incessante et à tendance cyclique, dans toutes sortes de domaines, des préférences propres aux membres d'une société donnée. Ainsi entendu, le phénomène de mode est un objet central pour la sociologie car il est l'exemple le plus pur de sa question fondamentale : comment les préférences individuelles constituent-elles – ou se conforment-elles – à une préférence collective ? Les recherches empiriques récentes se sont détournées de la mode vestimentaire pour s'orienter vers des matériaux plus pertinents et plus facilement exploitables, en particulier les prénoms.

Au début du xxe siècle, quand la sociologie se constituait comme discipline, la mode, qu'on en traite directement ou qu'on l'évoque à des fins d'illustration, était quasiment la référence obligée qui permettait de manifester, de la manière la plus commune, la part du social dans les comportements individuels. Comme forme de régulation sociale, comme mécanisme ou expression du changement et de la stratification, ses rapports avec les problèmes centraux de la sociologie paraissaient aller de soi. Comment expliquer alors la pauvreté des études empiriques sur le sujet, contrastant avec la caractérisation rituelle de la mode comme « phénomène social par excellence » ?

Un des grands obstacles au développement de travaux empiriques a été l'identification très forte du mot « mode » à la mode vestimentaire, sinon au vêtement lui-même. La littérature sociologique ou parasociologique sur la mode s'est, avec constance, empêtrée dans les chiffons. Or la mode vestimentaire est un exemple particulièrement impur du phénomène. Le choix d'un vêtement est en partie déterminé par sa disponibilité et par son coût. De plus, dans ce cas, chacun sait (plus ou moins) qu'il se conforme (plus ou moins) à la tendance collective du moment. Or ce qui est fascinant dans le phénomène de mode, c'est qu'il est l'exemple le plus immédiat de la question centrale et éternelle de la sociologie : celle des rapports entre l'individuel et le collectif. D'un côté ce sont nos choix individuels additionnés qui forment le « goût collectif » du moment ; pourtant, tout se passe comme si ces choix individuels se conformaient à ce goût collectif. Et la conformité des choix individuels au choix collectif peut être non seulement ignorée, mais redoutée.

On le voit bien dans le cas du choix d'un prénom pour son enfant, du moins au xxe siècle, depuis que la rotation rapide des préférences, et donc la ronde des prénoms à succès, est réglée par la mode. Le prénom est, à cet égard, un objet privilégié. La motivation de la plupart des parents est d'éviter à la fois un prénom trop répandu, pour bien individualiser leur enfant, et un prénom extravagant par son excès de rareté. On retrouve là cette tension entre le commun et l'excentrique, entre le souci d'originalité et celui de conformisme, qui est le ressort du mouvement de la mode. Autre avantage décisif du prénom : c'est un bien gratuit dont la consommation est obligatoire. Il est gratuit en ce double sens qu'il ne coûte rien et que son choix n'est pas déterminé par une utilité objective. Toutes ces caractéristiques distinguent le choix du prénom de tout autre acte de consommation et en font le terrain de manœuvre privilégié du phénomène de mode dans ce qu'il a de purement social.

L'étude statistique des prénoms donnés en France depuis un siècle (Besnard et Desplanques) a ainsi pu mettre en évidence que les prénoms à succès suivent tous une courbe de diffusion à peu près normale, culminant à des niveaux variés, de 2 p. 100 (deux garçons[...]

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