MODÈLE
Le modèle en art
Dans le champ théorique qui correspond à l'ensemble des pratiques que l'idéologie rassemble sous la rubrique de l'« art » (au singulier), le mot « modèle » s'entend en plusieurs sens, soit qu'il renvoie à une structure historiquement définie ou à un type d'historicité spécifique, soit qu'il intervienne dans le discours sur l'art au double titre de figure descriptive ou de notion productive.
Le peintre et son modèle
Référée à la structure de renvoi, de redoublement qui caractérise massivement le système de la représentation, la notion de modèle est impliquée d'entrée de jeu dans la définition de la mimèsis, de l' imitation : affirmer que l'art imite la nature (Aristote) revient à signifier qu'il la prend pour modèle, dans ses objets et plus encore dans ses opérations, sinon dans son principe même. Si la perspective sert à démontrer la peinture (idée sur laquelle insistera Léonard de Vinci), c'est dans la mesure où elle se présente moins comme un cours de recettes ou de procédures d'illusion que comme un code régulateur (« frein et gouvernail de la peinture »), comme un modèle essentiellement théorique, destiné à rendre raison, en termes spéculaires, de la duplication qui est au principe du système de la représentation. Dans sa transparence feinte, cette construction emporte une série de réductions toujours aléatoires et révocables, toujours menacées au niveau anecdotique – comme on le voit avec Picasso – par les débordements du peintre et l'intrusion sur la toile de la subjectivité aux prises avec le « modèle » et, à un niveau plus théorique, par l'intromission de la surface picturale comme telle dans le circuit spéculaire : réduction du « sujet » de l'énonciation picturale à un œil, sinon à un point (la cuspide de la « pyramide visuelle ») ; réduction des corps (les objets de l'imitation) à leur enveloppe visible ; réduction de la toile ou du panneau au rôle de simple support d'une image dont l'appréhension emporte leur « néantisation » (comme parlent les phénoménologues), en même temps que celle des moyens picturaux, dans leur réalité sensible, leur matérialité spécifique.
Il appartient au projet même de la mimèsis de présenter ses « œuvres » comme le fruit d'un artifice fondé en nature, ce paradoxe visant à oblitérer en elles toute marque du travail, de l'opération dont elles sont le produit. D'où l'insistance (parfois problématique) de la critique classique sur les critères de vérité, de simplicité, de naturel, de justesse, aussi bien que l'importance que prendra, aux limites historiques de la conjoncture définie comme celle de la représentation, la question du modèle vivant. « Mais à quoi tient cette fausseté, demandera Diderot, cela n'est pas dans la nature. Ces gens voient donc d'une façon et font d'une autre » (Salon de 1759). Et encore (Salon de 1761) : « Il y a des passions bien difficiles à rendre ; presque jamais on ne les a vues dans la nature. Où est donc le modèle ? Où le peintre les trouve-t-il ? Qu'est-ce qui me détermine, moi, à prononcer qu'il a trouvé la vérité ? » Mais la nature, qu'est-ce à dire, dans un siècle où nul n'est plus accoutumé à la considérer, un siècle qui ne dispose même plus, dans la pratique quotidienne du peintre, de modèles dignes de ce nom ? « Nous ne voyons jamais le nu ; la religion et le climat s'y opposent [...] Nous ne savons pas ce que c'est que les belles proportions. Ce n'est pas sur une fille prostituée, sur un soldat aux gardes qu'on envoie chercher quatre fois par an, que cette connaissance s'acquiert. »
L'histoire monumentale et ses héros
Il reste que le peintre a d'autres modèles, et ceux-là d'abord que l'histoire[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Raymond BOUDON : membre de l'Académie des sciences morales et politiques, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Hubert DAMISCH : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
- Jean GOGUEL : ingénieur général des Mines, ancien directeur du service de la carte géologique de France
- Sylvanie GUINAND : maître de recherche au C.N.R.S.
- Bernard JAULIN : membre de l'Académie des sciences
- Noël MOULOUD : professeur à l'université des sciences humaines, lettres et arts de Lille
- Jean-François RICHARD : professeur de psychologie à l'université de Paris-VIII
- Bernard VICTORRI : directeur de recherche au C.N.R.S.
Classification
Médias
Autres références
-
ANALOGIE
- Écrit par Pierre DELATTRE , Encyclopædia Universalis et Alain de LIBERA
- 10 427 mots
...respectifs des aspects communs et des dissemblances entre les caractéristiques des systèmes comparés. Les considérations qui précèdent montrent que tout modèle d'interprétation théorique, formalisé ou non, correspond déjà en fait à une analogie entre système signifié et système signifiant. Le problème n'est... -
ARCHÉTYPE
- Écrit par Henry DUMÉRY
- 274 mots
On appelle archétype un modèle idéal, un type suprême ou un prototype : dans ce sens, les Idées chez Platon sont le modèle en même temps que le fondement des choses. Bien d'autres philosophes (Malebranche, Berkeley, mais aussi Locke et Condillac) ont parlé d'archétypes. Cependant, c'est un psychanalyste,...
-
CAUSALITÉ
- Écrit par Raymond BOUDON , Marie GAUTIER et Bertrand SAINT-SERNIN
- 12 987 mots
- 3 médias
C'est dans ce contexte que se constitue un deuxième modèle d'explication, qui restitue la forme des mouvements par un biais nouveau, en tentant de rendre compte des variations de l'état de mouvement des corps pendant un intervalle de temps très court sous l'effet des forces extérieures. L'idée même... -
CLIMATOLOGIE
- Écrit par Frédéric FLUTEAU et Guillaume LE HIR
- 3 656 mots
- 4 médias
...Ces lois physiques sont établies à partir des observations de la situation actuelle et restent valides pour l'étude des climats passés et futurs. Des modèles numériques du climat s'appuient sur ces lois physiques pour simuler le climat. L'intérêt de la modélisation climatique est de comprendre les... - Afficher les 29 références