MODÈLE
Perspective épistémologique
L'usage des modèles, qui sont élaborés naturellement pour les besoins des différentes sciences, pose des problèmes étendus à la logique et à l'épistémologie. La logique est concernée en ce que les modèles donnent matière à l'étude sémantique, qui s'intéresse aux rapports des signes avec la réalité, et à l'étude pragmatique, qui reconnaît les motifs du choix des langages obéissant à des raisons d'efficacité, d'optimalité. Au reste, l'examen des modèles nous fait entrer assez avant dans les conditions de vérité propres aux différentes sciences. Mais la philosophie de la connaissance est concernée aussi, par les témoignages qu'apporte l'emploi des modèles sur les conditions de la compréhension de la recherche et de la preuve, sur la portée du savoir théorique. En fait, la pratique des modèles met en lumière les aspects relatifs et progressifs du savoir et de ses langages ; elle est peu compatible avec les conceptions « réalistes » qui supposent que le savoir débouche directement sur l'objet. Elle ne semble pas cependant réclamer les interprétations d'un nominalisme radical, qui ferait s'effacer l'objet devant les procédés de l'expression, car l'aménagement des modèles porte la marque des adaptations à l'objet et des exigences rationnelles d'une adéquation du savoir.
Les fonctions de la modélisation
La philosophie de la connaissance, qui réfléchit sur les procédés de modélisation pratiqués par les différentes sciences, est dans l'obligation d'interpréter une nouvelle fonction, une nouvelle dimension de la rationalité. Les caractères de celle-ci ne sont pas aisés à fixer, parce qu'il s'agit de procédés techniques en voie d'élaboration et parce que la fonction des modèles n'est pas univoque : former des modèles, c'est d'abord dominer par des connexions systématiques les hasards de l'empirie, et ce rôle se remarque surtout dans les sciences qui ont une base descriptive très étendue. Les sciences de la nature et les sciences de l'homme construisent des corps idéaux d'objets, qui, soumis en général au pouvoir d'un langage mathématique, surmontent le détail de l'expérience et neutralisent la part intuitive des conjectures et interprétations. Cependant, le modèle consiste à la fois dans le formulaire symbolique et dans les objets idéaux qui lui sont attachés, et, de cette manière, il donne une base matérielle au concept : il exerce visiblement ce rôle dans les sciences mathématiques, où la liaison de l'équation avec la figuration constitue un complexe intelligible qui donne corps aux opérations déductives. Ainsi, et de manière générale, le modèle s'établit dans une fonction médiatrice vis-à-vis de ce qui est, d'un côté, le plus concret ou, de l'autre, le plus abstrait.
De toute façon, l'emploi des modèles est un adjuvant au service des fins de la connaissance ; on aura remarqué que les spécialistes des diverses méthodes de la science parlent des modèles en termes de réalisations « optimales » et qu'ils marquent les rôles mutuellement complémentaires que jouent les modèles : les qualités mêmes auxquelles satisfont les modèles valables sont multiples et reflètent de quelque façon cette diversité des rôles. Ainsi la formation des modèles, au prix de certains artifices, rend possible une simplification, une schématisation des domaines de faits ; mais, en même temps, cette transcription permet de totaliser la matière traitée et d'éviter les réductions trop unilatérales. On invente les modèles pour systématiser les points de vue de l'explication ; par suite, une certaine rigueur constructive est exigible de ceux-là, mais cette rigueur n'est pas rigidité, car les modèles doivent être adaptables : au sein d'une même science, ils se pluralisent[...]
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Écrit par
- Raymond BOUDON : membre de l'Académie des sciences morales et politiques, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Hubert DAMISCH : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
- Jean GOGUEL : ingénieur général des Mines, ancien directeur du service de la carte géologique de France
- Sylvanie GUINAND : maître de recherche au C.N.R.S.
- Bernard JAULIN : membre de l'Académie des sciences
- Noël MOULOUD : professeur à l'université des sciences humaines, lettres et arts de Lille
- Jean-François RICHARD : professeur de psychologie à l'université de Paris-VIII
- Bernard VICTORRI : directeur de recherche au C.N.R.S.
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