MODERNISME, catholicisme
Les données
En France
En France, de façon schématique, on peut distinguer trois tendances majeures : les progressistes se persuadent qu'une telle conversion se limite à la maîtrise d'une discipline, sans mettre en cause l'édifice théologique (Mgr Batiffol, le père Lagrange, le père de Grandmaison) ; les modernistes pensent qu'elle impose une révision profonde des idées reçues et, corrélativement, du « régime intellectuel dans l'Église » (Alfred Loisy, Édouard Le Roy ; les rationalistes, refusant ce qu'ils estiment un illusoire compromis, jugent qu'elle signifie la fin des croyances catholiques ( Joseph Turmel, Albert Houtin). La difficulté à placer dans ce schéma des philosophes comme Maurice Blondel et le père Lucien Laberthonnière, ou des philologues comme l'abbé Paul Lejay, des historiens comme Mgr Duchesne, en montre bien la relativité. Tout aussi importante est la détermination des réseaux d'affinités tels qu'on peut les observer : on voit alors s'imposer des noms d'hommes qui n'étaient ni tous catholiques ni tous savants (Paul Sabatier, Paul Desjardins, Émile Nourry-Saintyves ; Mgr Lacroix, l'abbé Henri Bremond, etc.), mais tous préoccupés de culture religieuse.
Ces trois tendances eurent une trentaine d'années pour se déployer. Le point de départ en fut la loi de 1875, établissant la liberté de l' enseignement supérieur. Furent alors créés cinq instituts catholiques, dont il fallut fournir les chaires tant bien que mal, en attendant le fruit des investissements. À Paris, par exemple, Mgr Louis Duchesne (1843-1922) s'imposa comme un maître exceptionnel, historien du christianisme ancien et futur directeur de l'École française de Rome. Il eut comme élèves Alfred Loisy (1857-1940), dont le nom symbolisa longtemps tout le modernisme, et qui, professeur d'exégèse biblique dans le même établissement, fut destitué de sa chaire en 1893 pour des idées jugées alors trop audacieuses, et Mgr Pierre Batiffol (1861-1929), recteur de l'Institut catholique de Toulouse, qu'il rénova, mais dont il fut éloigné en 1908 dans d'obscures conditions.
L'orage éclata au début de ce siècle. En 1900, Adolf Harnack, historien allemand des origines chrétiennes, de réputation internationale, avait publié un recueil de conférences à ses étudiants de Berlin, Das Wesen des Christentums (L'Essence du christianisme), qui était une apologie historique du protestantisme libéral et fut traduit en français en 1902. Aussitôt, Loisy relevait le gant et sortait un petit livre, L'Évangile et l'Église, qui était une apologie historique, à dire vrai, non du système romain, mais d'un catholicisme éclairé. L'ouvrage fut jugé dangereux pour la foi, et plus encore les explications de son auteur qui le suivirent. Ce fut la condamnation, par l'archevêque de Paris d'abord, puis par le Saint-Office. Loisy se soumit, la mort dans l'âme, mais le processus était enclenché. Le 17 juillet 1907 paraissait un document du Saint-Office (décret Lamentabili), suite de soixante-cinq propositions solennellement réprouvées : presque toutes étaient tirées d'auteurs français, et plus des quatre cinquièmes de Loisy. Le 8 septembre suivant, le pape Pie X promulguait l'encyclique Pascendi, « sur les doctrines des modernistes », où la partie doctrinale était suivie d'une partie disciplinaire. Le 7 mars 1908, enfin, Loisy était frappé d'excommunication majeure et déclaré vitandus (« à éviter »).
Aucune révolte, aucun schisme ne se dessinèrent. Les uns interprétèrent ce fait comme la preuve que le danger avait été exagérément grossi, d'autres comme un effet de la tactique adoptée par les novateurs qui entendaient rester dans l'Église pour y travailler au succès de leurs idées. Plus probablement[...]
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Écrit par
- Émile POULAT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Autres références
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