MODERNISME, catholicisme
L'enjeu
Alors qu'on ne parlait pas encore d' aggiornamento, le « modernisme » a été, au début du siècle, l'une de ces crises dont le souvenir est demeuré profond, si subjective ou incertaine qu'en soit généralement l'image proposée.
L'occasion en a été la rencontre brutale de l'enseignement ecclésiastique traditionnel avec les jeunes sciences religieuses qui s'étaient constituées, loin du contrôle des orthodoxies et le plus souvent contre elles, à partir d'un principe révolutionnaire : l'application des méthodes positives à un domaine, à des textes jusqu'ici considérés comme hors de leurs prises. L'initiation à ces méthodes posait au savant catholique un dilemme troublant : voir dans cette laïcisation scientifique de l'univers religieux une contradiction intrinsèque, une profanation coupable, c'était se refuser à tout travail réel et se placer en position d'infériorité ; en accepter les règles semblait introduire le libre examen dans une religion qui l'excluait et, plus précisément, multiplier à l'infini des difficultés rebelles à tout traitement apologétique ou autoritaire.
Il y a plus important encore. Ce conflit ecclésiastique s'inscrit dans un vaste conflit et s'explique par lui. Il renvoie à un fait de civilisation global – les transformations dont la société actuelle est le siège –, sur l'appréciation duquel les catholiques se divisaient profondément, mais dont les incidences religieuses frappaient les moins avertis par leur négativité : tandis que le peuple des villes et des campagnes se détache de la religion ancestrale, la culture se soustrait au contrôle traditionnel de l'Église et la concurrence même sur son propre domaine en opposant les « sciences religieuses » aux « sciences sacrées ».
N'était-il donc pas possible de réconcilier ce qui s'opposait ? Et, pour que le peuple et la science s'ouvrent à l'Église, ne fallait-il pas que celle-ci, d'abord, s'ouvre à eux ? Le modernisme savant, laissant à d'autres le soin des foules, apparaît ainsi, en première analyse, comme le fruit d'une division du travail. L'austère solitude dans laquelle il s'enferme est la condition de son efficacité.
Toutefois, empruntée à la pratique politique, l'idée d'un accord, d'une conciliazione, se révèle vite inconsistante et trompeuse dans l'ordre de l'esprit. Elle évoque un compromis et, ici, pour commencer, les concessions de la foi à la science. Mais la foi peut-elle rien concéder d'elle-même sans se trahir et sans se laisser entraîner sur une pente dangereuse ? Entre Loisy et ses amis, d'une part, ses adversaires des deux bords, de l'autre, il semble que ce soit là le fond du débat. Houtin s'était donné à l'idéal d'une réconciliation, où les conservateurs voyaient une idée commune – et condamnable – des modernistes. Les loisystes, au contraire, s'appuyaient sur la nécessité d'une transition : contre ceux qui pensent que l'Église ne doit pas changer (les traditionalistes) ou qu'elle ne peut pas changer (les anticléricaux), ou qu'elle devrait mais ne peut pas (Duchesne), ils affirment qu'elle changera puisqu'elle a toujours changé. Le grand problème pour eux devient ainsi, à la lumière de l'histoire et de la critique, celui des rapports de la foi et de ses représentations.
Le progressisme, comme on disait alors, et que représentaient des hommes comme Mgr Batiffol et le père Lagrange, s'était fixé pour tâche de faire profiter la foi traditionnelle des acquisitions récentes des sciences religieuses. Le modernisme allait plus loin : il voulait trouver à cette foi une expression qui tînt compte des transformations de l'esprit humain dont le développement de ces sciences était un symptôme[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Émile POULAT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Autres références
-
BATIFFOL PIERRE (1861-1929)
- Écrit par Émile POULAT
- 410 mots
Ecclésiastique, historien du christianisme ancien et personnage en vue lors de la crise moderniste, dont il fut l'une des victimes malgré son hostilité déclarée au modernisme et aux modernistes. Pierre Batiffol avait été, à l'Institut catholique de Paris, l'un des élèves préférés de ...
-
BREMOND HENRI (1865-1933)
- Écrit par Émile GOICHOT
- 2 121 mots
...français. L'année suivante, la rencontre fortuite à Athènes de Maurice Barrès inaugure une amitié qui ne sera pas sans influence sur sa carrière littéraire. Sur un autre plan, il s'est lié, vers la même époque, avec la plupart de ceux qui joueront un rôle marquant dans la crise moderniste (Maurice Blondel et... -
BUONAIUTI ERNESTO (1881-1946)
- Écrit par Émile POULAT
- 481 mots
La figure la plus marquante et la plus riche du modernisme italien, la plus complexe aussi. Dès avant son ordination en 1903, Ernesto Buonaiuti avait été appelé à enseigner la philosophie dans un des séminaires romains, puis à remplacer son maître Benigni comme professeur d'histoire. Destitué de sa...
-
CANET LOUIS (1883-1958)
- Écrit par Émile POULAT
- 337 mots
Agrégé de grammaire, élève de l'École pratique des hautes études (sciences religieuses), membre de l'École française de Rome, où le trouve la déclaration de guerre de 1914 et où le gouvernement français le maintient en mission, Louis Canet est appelé après l'armistice à la direction des cultes au commissariat...
- Afficher les 28 références