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MODERNISMO

De nouvelles formes

Les premières générations d'écrivains qui s'étaient succédé en Amérique hispanique depuis l'indépendance avaient maintes fois affirmé leur volonté de se soustraire à la tutelle linguistique et littéraire de l'Espagne mais n'en restaient pas moins tributaires de la tradition académique et rhétorique de la Péninsule. Les modernistes théorisèrent moins, mais firent davantage. En prose et en vers, ils tendirent, et réussirent souvent, à proscrire l'enflure oratoire, en même temps qu'ils assouplissaient la syntaxe et s'efforçaient, par différents moyens, de rendre la phrase plus légère et plus nuancée.

En matière de versification, les recherches et les expériences auxquelles ils se livrèrent ne sont pas moins dignes de remarque ; et, là encore, ce fut Darío qui donna l'exemple. Son modernisme ne l'empêchait pas d'aller chercher les modèles dans le Moyen Âge espagnol, jusque chez Berceo, dont il fit revivre l'alexandrin de quatorze syllabes. Mais il introduisit également l'alexandrin à la française, accentué sur le douzième pied, ainsi que certains modes français de poèmes à forme fixe. Et tandis que l'opulence de ses rimes démontre l'influence du Parnasse français, celle du symbolisme n'apparaît guère moins dans sa recherche d'images vaporeuses et de sonorités fluides et douces. Ses émules ont pu recourir à d'autres précédés techniques ; ils ont tous, peu ou prou, contribué à la rénovation de l'instrument poétique.

Assez vite le succès de Darío et de ses pairs se propage au-delà du continent où le modernisme avait pris naissance et, pour la première fois dans l'histoire, on vit un mouvement littéraire né en Amérique influencer directement les lettres espagnoles. Cela contribua à rapprocher, au moins sur le plan culturel, l'Espagne et ses anciennes colonies du Nouveau Monde. La guerre hispano-américaine de 1898 fit le reste. Les intellectuels d'Amérique hispanique, profondément affectés par la défaîte de la nation mère, partagèrent son ressentiment à l'égard de l'impérialisme yankee.

C'est aux environs de cette même année 1898 que l'on peut fixer la fin de la première phase du mouvement moderniste. La deuxième est caractérisée, dans l'ensemble, par l'abandon de l'esthétisme pur et par une prise de conscience des réalités politiques et sociales. À cette conversion spirituelle contribua, au premier chef, l'essayiste uruguayen Enrique Rodó (1872-1917), dont l'ouvrage en prose Ariel (1900) eut, dans cette deuxième période du mouvement, un retentissement comparable à celui qu'avait eu Azul dans la première.

Rodó ne s'est pas contenté de vitupérer, à son tour, le matérialisme nord-américain. Démocrate prudent mais sincère, il a tenté de promouvoir l'idée d'une Amérique hispanique unie, capable de communier dans le culte de valeurs autochtones à découvrir ou à créer. Aussi bien, dans cette deuxième phase, la poésie moderniste marque-t-elle un intérêt croissant pour les origines, le présent et l'avenir des civilisations hispano-américaines et pour l'idée-force d'un panaméricanisme latin.

Il s'en faut de beaucoup que les historiens de la littérature soient parvenus à un accord définitif sur le modernisme. Peu d'entre eux contestent son importance novatrice ; en revanche, les opinions diffèrent sensiblement quant à sa nature, quant à ses points d'application et à sa situation géographique et chronologique.

Certes, la majorité s'accorde à situer en Amérique l'origine de ce mouvement ; mais en Espagne beaucoup ont prétendu et prétendent encore qu'il a surgi simultanément dans les deux fractions, européenne et américaine, du monde hispanique. Cette thèse n'est guère soutenable. Si la poésie moderniste a compté[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à la faculté des lettres et sciences humaines d'Amiens

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